Cinq mythes sur la Tchétchénie


Tchelovetchnost, No 1(7), 2000

La machine propagandiste officielle qui sert la guerre en Tchétchénie, tourne a plein rendement. Son but est le nettoyage massif des cerveaux, la formation d'un image ennemi ("un Tchétchène méchant") dans la mentalité des gens et la justification de "nos" actions. Pour cela on utilise des mythes neufs et anciens, enracinés dans l'époque du tsarisme et du stalinisme.

Comparons les mythes les plus répandus avec les faits et la logique.

1. La Tchétchénie est une partie intégrale de la Russie.

La conquête de la Tchétchénie par l'Empire russe a commence au XVIII siècle et a terminé a la moitié du XIXme. Le but du tsarisme était "la soumission des montagnards et l'élimination des insoumis" (le tsar Nicolas I). Au cours de la conquête les Tchétchènes ont été chasses des terres fertiles dans les montagnes, exilés en Turquie et leurs villages démolis (la ville "russe" de Grozny a été fondée à la place des auls tchétchènes démolis). Pendant presque 80 ans - depuis 1780 a 1859 - les montagnards ont mené la lutte armée contre les colonisateurs. Son apogée fut la Guerre du Caucase (1817-1859), la plus longue guerre coloniale dans l'histoire. A la suppression des montagnards, l'imam Chamil en tête, ont participé plus de troupes qu'à la guerre contre Napoléon. Néanmoins la population tchétchène a persisté de ne pas entrer a l'Empire russe. Le correspondant de guerre d'un journal de Moscou a écrit: "En Tchétchénie notre territoire n'est que ce qu'occupe notre détachement; le détachement déplacé, le territoire tombe à la main des insurgents". Plusieurs soldats russes qui ne voulaient participer a cette aventure, ont déserté et se sont évadés en Tchétchénie libre du servage; ils ont même formé un régiment russe dans l'armée de Chamil. Les forces démocratiques et révolutionnaires du monde ont approuvé la résistance contre l'Empire comme une partie intégrale de la lutte mondiale pour la libération. "Les peuples de l'Europe doivent étudier l'exemple de la lutte héroique des montagnards pour la liberté et contre le tsarisme russe", ont écrit Marx et Engels.

Mais les forces combattantes étaient trop inégales. Apres plusieurs décennies de la lutte armée sanglante le tsarisme a réussi de supprimer la résistance des peuples du Caucase et de les inclure de force a l'Empire russe.

Telle est la situation avec une justification "historique" du "droit" de la pouvoir russe sur la Tchétchénie.

2. Les Tchétchènes sont une nation de bandits; le brigandage, la prise des otages est une trait caractéristique de leur ethnicité.

L'historiographie russe du XIX siècle a reconnu que des le commencement les plus actifs dans le brigandage au Caucase avaient été les Kazakhs russes habitant "la ligne russe" le long de la rivière Terek, et pas les Tchétchènes. Les attaques et les pillages systématiques faits par les Kazakhs obligeaient les Tchétchènes de se fixer loin de leurs voisins belliqueux; ils considéraient la vie à coté des Russes comme une grande audace. Après tous les deux côtés attaquaient l'un l'autre, parfois après la conclusion d'un "accord": les Kazakhs (après avoir obtenu une sanction des autorités) laissaient spécialement les Tchétchènes faire un raid pour avoir les justifications à une "expédition de vengeance" et le pillage. (Est-ce que cela se ressemble un peu à l'histoire du raid du détachement de Bassaev à Daghestan?)

Quant a la prise et au meurtre des otages, le record historique n'appartient pas non plus aux Tchétchènes. C'étaient les chefs militaires russes, notamment le général "heroique" Ermolov, qui ont abondamment pratiqué le système de la prise massive des otages au Caucase (notons que ça s'est passé bien avant l'apparition des bolcheviks en Russie qui, comme "on sait tous", eussent inventés ce méthode barbare). On prenait un grand nombre des otages dans les auls et les pendait juste après une révélation de quelque "trahison" ou insoumission du coté des montagnards, même si ce n'étaient pas des parents des coupables, mais les premiers venus.

Si on parle de l'explosion de criminalité et les rapts en Tchétchénie à notre époque, dans la période entre les deux guerres, il faudrait se poser une question: qu'est-ce qui se passerait en Russie même, si les villes et les villages étaient mis en ruines et l'économie éliminée comme en Tchétchénie après la première guerre? N'augmenterait-il pas le nombre des criminels dans les conditions d'une absence presque complète des possibilités de vivre normalement et d'une violence totale? On peut être sur qu'en ce cas autant de Russes tenteraient de résoudre leurs problèmes d'une façon criminelle que les Tchétchènes.

D'ailleurs, l'indignation contre "le terrorisme et le banditisme tchétchène" du côté de la propagande officielle, des autorités et des militaires fait le comble du cynisme. Ceux qui sanctionnent, réalisent et justifient le terrorisme d'Etat, qui sont responsables des meurtres, des tortures, des viols en masse, des coupures des oreilles, du mouvais traitement de la population civile etc., n'ont aucun droit de se porter garants de "légitimité".

3. Pendant la deuxième guerre mondiale les Tchétchènes ont collaboré en masse avec les occupants nazis, pour laquelle raison ils ont été déportés.

En réalité les troupes allemandes n'ont occupé qu'un petit morceau du territoire d'Ingouchie; la Tchétchénie ne fut point occupée. C'est pourquoi "la collaboration en masse" des Tchétchènes avec les occupants n'a pas pu exister par la force même de l'absence de ces derniers. En conséquence il n'y a eu aucun "cheval blanc" offert a Hitler comme un signe de fidélité par les anciens Tchétchènes. Ce qui a existé en fait, c'est la lutte armée des Tchétchènes contre la domination impériale de Staline, a laquelle le pouvoir a répondu par le génocide en forme de déportation.

L'insurrection des Tchétchènes n'a eu aucune liaison avec l'expansion de l'Allemagne nazie: elle a commencé l'hiver de 1940, c'est-à-dire, quand Hitler et Staline furent encore alliés. Cette insurrection fut une conséquence légitime de la politique coloniale stalinienne au Caucase qui a suit et aggravé les traditions du tsarisme.

La voici sa pré-histoire.

Pendant la Guerre civile en Russie la majorité de la population de la Tchétchénie-Ingouchie a approuvé la révolution. L'Armée Rouge tchétchène a activement combattu contre les Blancs: au cours de son offensive contre Moscou le général Denikine fut obligé de laisser en Tchétchénie-Ingouchie le tiers de ses troupes. Apres la victoire des Rouges la Tchétchénie est d'abord entrée à la République Montagnarde, puis a reçu une autonomie. La première moitié des années 20, quand les représentants des intellectuels nationaux de gauche appuyés par le peuple ont dirigé la république, semble être la période la plus paisible et bienfaisante de l'histoire tchétchène. Mais avec l'affermissement du régime bureaucratique en URSS la situation a commencé à changer. En 1925 les marionnettes ouvertes de Moscou ont succèdé aux anciens dirigeants de la Tchétchénie, le NKVD a commencé les opérations a grande échelle contre les éléments considérés déloyaux. En 1929-1932 la collectivisation forcée avait provoqué des rébellions en Tchétchénie qui furent supprimés par des répressions féroces (seulement en 1932, 35 mille personnes furent supprimés). Puis a suivi la terreur de la fin des années 30...

Mais les traditions de la lutte pour la libération ont encore demeuré parmi les Tchétchènes - et les mutineries populaires ont pris la forme de l'insurrection en masse. Maintenant les insurgés n'ont pas combattu sous les mots-d'ordre religieux, islamiques comme auparavant: l'idéologie du mouvement dirigé par les intellectuels formés en période soviétique (l'ecrivain K. Israilov, l'homme de loi M. Cheripov, le frère du leader répressé des bolcheviks tchétchènes etc.) fut la lutte contre "l'impérialisme rouge" pour la libération nationale. Dans plusieurs districts de montagne les insurgés ont renversé les satrapes staliniens et proclamé la formation d'un "gouvernement populaire révolutionnaire provisoire de la Tchétchénie-Ingouchie". La lutte armée a continué pendant près de trois ans, les insurgés n'ont reçu aucune appui des nazis. Le Parti spéciale des frères de Caucase qui dirigeaient le mouvement a refusé la possibilité même d'un alliance avec les nazis. Seulement en 1942, après les bombardements aériens massifs les troupes du NKVD ont réussi a supprimer la résistance des Tchétchènes. En 1944 ces derniers, comme les autres peuples insoumis, furent tous déportés de leur patrie. Pendant cette déportation plus de 130 mille personnes ont péri, dont plus de 72 mille Tchétchènes et Ingouches.

4. L'operation actuelle des troupes russes en Tchétchénie est une réponse a l'invasion des Tchétchènes a Daghestan et aux attentats (les explosions des maisons) en Russie organises par eux.

D'après S. Stepachine, le prédécesseur de Poutine, les préparations à la campagne militaire contre la Tchétchénie ont commencé plusieurs mois avant les évènements a Daghestan - au printemps 1999. Le raid de Bassaev a simplement servi le prétexte à la guerre. Mais si on laisse à côté une version très vraisemblable d'un conflit "négocié" et d'un arrangement préalable entre Bassaev et l'administration d'Eltsine, le thèse sur "la réponse adéquate a l'agression de la Russie" semble très douteux. Quand les détachements russes ont combattu en Abkhasie pour la séparer de la Georgie (a propos, à côté du même Bassaev), personne ne pensait qu'en qualité d'une "réponse adéquate" la Georgie eut du déclarer la guerre au Kremlin et ordonner à ses avions de bombarder Moscou. De même la participation des mercenaires russes aux combats à Bosnie et au Kossovo à côté de Milosevic n'a pas mené aux "nettoyages" du territoire russe par les détachements bosniaques ou albanais.

Quant aux explosions des maisons, il n'existe aucune preuve ni témoignage qui en confirment la responsabilité des structures tchétchènes. Au contraire, il y a de fortes raisons à supposer que les services secrets russes mêmes n'etaient pas étrangers à ces attentats. L'automne dernier à Riazan les gens simples et la police ont trouvé de l'explosif dans la cave d'une maison. Le Service Fédéral de Sûreté est intervenu tout de suite et a déclaré qu'elle avait fait les "exercices" et l'explosif n'était en réalité que les sacs du sucre (qui certainement furent confisqués dans un instant). Néanmoins l'expertise faite a Riazan juste après la découverte de ces sacs a montré: ils contenaient une mélange explosive avec une fusée-détonateur. Pourquoi les services secrets ont menti? Est-ce parce qu'a échoué encore une "action" qui devrait démontrer une fois de plus "les atrocités tchétchènes"?

5. Si on donne la Tchétchénie aux Tchétchènes, la Russie se dissoudra.

Si un peuple est retenu dans un Etat par les moyens de force, cet Etat est un empire et condamné a se dissoudre, car la dissolution des empires est une loi historique objective. Tous les "grands" empires qui ont existé dans l'histoire, à la fin se sont dissolus, même si leurs dirigeants ont coulé des torrents de sang pour maintenir les possessions coloniales. Donc c'est une rétention forcée de la Tchétchénie qui mène directement a une dissolution garantie de la Russie.

La vraie unité de la Fédération de la Russie ne peut se fonder que sur les aspirations bénévoles de ses peuples a vivre ensemble. Le respect du droit de chaque peuple a l'autodétermination libre qui est une norme de base de la démocratie, est la prémisse nécessaire d'une telle unité.

Alexei Goussev

(Tchelovetchnost, No 1(7), 2000)