APCE - Rapport sur la situation en République tchétchène

Commission des questions juridiques et des droits de l'homme
Rapporteur: M. Rudolf Bindig, Allemagne, Groupe Socialiste

http://stars.coe.fr/index_f.htm

Doc. 9329 (extraits)
21 janvier 2002

I. Conclusions de la commission

La Commission des questions juridiques et des droits de l'homme ne peut qu'émettre la conclusion suivante: aucune amélioration tangible de la situation relative aux droits de l'homme en République tchétchène n'a pu être observée l'année dernière. Compte tenu des violations graves et continues des droits de l'homme perpétrées dans la République, pour la plupart par des membres des forces fédérales russes pendant les "opérations de nettoyage" et de l'absence évidente de progrès en ce qui concerne les enquêtes sur les crimes commis dans le passé et récemment, les poursuites judiciaires et la condamnation des auteurs de ces crimes, donnant lieu à un climat d'impunité, la Commission estime que la paix, l'Etat de droit et le respect des droits de l'homme en République tchétchène n'ont pas été rétablis l'année dernière.

III. Exposé des motifs
par M. Bindig, rapporteur

3. La situation des droits de l'homme mérite donc une fois encore qu'on lui accorde la plus haute priorité. Malheureusement, à en juger par toutes les informations dont j'ai eu connaissance et d'après mes propres observations sur le terrain, la situation des droits de l'homme en République tchétchène n'a pas beaucoup évolué depuis janvier 2001, du moins pas dans le bon sens. C'est le contexte international qui a changé suite aux attentats terroristes perpétrés le 11 septembre 2001 aux Etats-Unis d'Amérique. Certains gouvernements - y compris les autorités russes - ont profité de l'occasion pour revoir l'équilibre entre la nécessité de respecter les droits de l'homme, d'une part, et la nécessité de lutter contre le terrorisme, de l'autre et ce rééquilibrage s'est fait au détriment du respect des droits de l'homme. Notre Commission a également déjà signalé, dans le rapport de M. Hunault sur la lutte contre le terrorisme et le respect des droits de l'homme, que le terrorisme ne peut pas être combattu aux dépens des droits de l'homme. Ce principe s'applique partout dans le monde. Et je pense qu'il convient également de préciser - même si ce point de vue est peut-être impopulaire en ce moment - que la situation en Tchétchénie n'est pas, et n'a jamais été comparable à la situation en Afghanistan.

4. Dans sa Résolution 1240 (2001) et sa Recommandation 1498 (2001) adoptées en janvier 2001, l'Assemblée déplorait:

· que très peu d'affaires relatives à des allégations de violation des droits de l'homme et de crimes commis par les forces armées soient à ce jour parvenues devant les tribunaux et qu'il n'y ait pas eu de mise en accusation en liaison avec les allégations de massacres à Alkhan-Yourt (décembre 1999), Staropromyslovski (janvier 2000) et Aldi (février 2000);

· qu'on ne soit parvenu à aucun résultat dans l'enquête sur la disparition de M. Alikhodjiyev, président de l'ancien Parlement de la République tchétchène;

· que des informations convaincantes fassent état de la poursuite des exactions aux points de contrôle, ainsi que des disparitions, arrestations arbitraires, détentions illégales, mauvais traitements et homicides inexpliqués, notamment lors des opérations de nettoyage.

Par conséquent, l'Assemblée craignait que l'indiscipline des troupes conjuguée à l'apparente incapacité de poursuivre énergiquement les crimes qui auraient été commis par des membres des troupes fédérales contre la population civile ne crée un climat d'impunité propice à de nouvelles violations des droits de l'homme. L'Assemblée a exigé qu'il soit immédiatement remédié à cette situation et a recommandé au Comité des Ministres de suivre ces questions. L'Assemblée a également demandé qu'on lui fournisse, avant la partie de session d'avril 2001, une liste circonstanciée de toutes les enquêtes judiciaires menées par les procureurs militaires et civils sur les crimes commis contre des civils par des militaires et des membres des forces de police spéciale en République tchétchène ainsi que leur état d'avancement.

5. Cette liste a été présentée au Groupe de travail mixte sur la Tchétchénie par les autorités russes en avril 2001. Une analyse de la liste a toutefois révélé que la plupart des affaires délicates (massacres, torture, disparitions, tels que mentionnés dans les résolutions de l'Assemblée) n'y figuraient pas. En outre, de nombreuses enquêtes ont été transférées d'un parquet à l'autre (d'un procureur militaire à un procureur civil et inversement) sans résultats tangibles. Peu d'affaires ont été portées devant les tribunaux; la plupart ont été suspendues, transférées ou classées. Des mises à jour n'ont été apportées à la liste que de façon fragmentaire; les informations fournies par les différentes autorités étaient souvent contradictoires.

6. D'après les dernières informations qui m'ont été communiquées à l'issue de la visite du GTM en Tchétchénie, en décembre 2001, 102 affaires seulement ont été ouvertes par le Parquet de mai à décembre 2001; elles ont été pour la plupart classées ou transférées. 17 affaires seulement ont été portées devant les tribunaux et l'une d'entre elles seulement a abouti à une condamnation. Les tribunaux militaires ont condamné au total 18 militaires pour des crimes commis contre des civils. Les affaires les plus médiatisées, comme les massacres mentionnés dans les résolutions de l'Assemblée, la disparition de M. Alikhodjiyev ou le charnier (contenant 51 cadavres) découvert dans les environs de Grozny en février 2001, ne faisaient pas partie des affaires résolues.

7. Les chiffres fournis par les autorités russes sur les enquêtes et les poursuites engagées relatives aux crimes commis par des membres des troupes fédérales à l'encontre de civils sont dérisoires en comparaison avec les centaines de plaintes pour violations graves des droits de l'homme que les ONG telles que " Mémorial " reçoivent après chaque nouvelle opération de nettoyage, quelles que soient les forces fédérales qui l'ont menée (armée, milice ou FSB). Plusieurs opérations de nettoyage ont suscité des critiques et des promesses d'enquêtes même de la part de commandants militaires (opérations de Sernovodsk et Assinovskaya en juillet 2001 ou d'Argun et de Tsotsin-Yourt en décembre 2001/janvier 2002). Suite à certaines accusations formulées en relation avec les affaires ci-dessus, le Procureur général a promulgué un décret (décret n°46 du 25 juillet 2001) en vertu duquel les opérations de nettoyage doivent être menées en présence d'un procureur. Il semble que ce décret soit maintenant appliqué en République tchétchène, mais il n'a pas permis de mettre un terme aux violations des droits de l'homme commises lors de ces opérations. Les représentants du ministère public semblent être peu désireux ou incapables de les prévenir et encore moins de mener par la suite des enquêtes en bonne et due forme et de traduire les coupables en justice.

8. De fait, les informations provenant de Tchétchénie n'ont pas beaucoup changé depuis janvier 2001: des informations convaincantes font état de la poursuite des exactions commises au quotidien (même si elles sont moins fréquentes aux points de contrôle) ainsi que des disparitions, arrestations arbitraires, détentions illégales, mauvais traitements et homicides inexpliqués.

9. Les combattants tchétchènes ont commis une série d'assassinats de fonctionnaires et de responsables religieux locaux, car ceux-ci coopéraient avec l'administration tchétchène ou le gouvernement russe. En 2001, selon des ONG, parmi les personnes assassinées, figuraient au moins 18 responsables régionaux et municipaux, au moins 5 responsables religieux et de nombreux policiers, enseignants et fonctionnaires de grade inférieur tchétchènes. Des membres de la famille de ces personnes ont même parfois également été pris pour cible. Ces actes méprisables doivent faire l'objet d'enquêtes qui doivent être menées avec autant de rapidité et de minutie que pour les actes perpétrés par des membres des forces fédérales russes et les personnes responsables doivent être traduites en justice.

10. Pour conclure, je ne peux que regretter l'absence de progrès notable relatif à la situation des droits de l'homme en République tchétchène l'année dernière. J'ai eu connaissance de très nombreuses informations convaincantes de violations graves et continues des droits de l'homme dans la République. J'ai moi-même constaté l'absence évidente de progrès au niveau des enquêtes sur les crimes commis dans le passé et récemment, des poursuites judiciaires et de la condamnation des auteurs de ces crimes. Je me suis rendu compte sur le terrain en décembre 2001 du sentiment d'impunité que cela a créé en Tchétchénie et du climat de haine et de guerre qui continue à y régner. Je pense que tout processus de paix est voué à l'échec si la situation des droits de l'homme ne s'améliore pas radicalement sans plus attendre. La paix, l'état de droit et le respect des droits de l'homme en République tchétchène n'ont pas été rétablis l'année dernière. Il incombe à la Fédération de Russie, en tant qu'Etat partie à la Convention européenne des Droits de l'homme, de garantir sa mise en œuvre en République tchétchène et d'améliorer la situation déplorable de l'année dernière.