APCE : débat sur
le Conflit en République tchétchène
mercredi 23 janvier 2002
Ce qui suit sont des extraits du rapport du débat (version provisoire).
Pour voir le rapport en entier, consulter le site du APCE :
http://stars.coe.fr/verbatim/200201/F/index.htm
LORD JUDD (Royaume-Uni -
Rapporteur de la Commission des questions politiques)
:
Sagissant de droits de lhomme, les progrès sont extraordinairement
lents, et il ne semble y avoir aucune logique entre les mesures judiciaires
et la gravité des actes poursuivis. Le nombre des affaires en cours est
très limité et les décisions sont encore plus rares. Aucune
enquête nest engagée sur les massacres à grande échelle...
On observe cependant un changement de climat puisque, après des refus
systématiques, le gouvernement semble être prêt à
engager des discussions rationnelles, le pluralisme politique se développe
et le bureau de M. Kalamanov travaille. M. Poutine a pris des initiatives en
faveur dune négociation.
Lorateur propose la création dun large conseil consultatif dans lequel la présence de M. Maskhadov, le dernier président élu, est indispensable.
Il y a assurément en Tchétchénie des extrémistes et des criminels, mais il y a aussi des gens qui, dans dautres circonstances, auraient été appelés des combattants de la liberté.
Les forces fédérales doivent réduire leurs activités et il faut envisager une amnistie générale.
M. BINDIG (Allemagne - Rapporteur de la Commission
des questions juridiques et des droits de l'homme) :
Il est inconcevable de ravaler la guerre
en Tchétchénie, qui est en fait une guerre de partisans, au même
rang que le terrorisme. Le peuple tchétchène lutte pour obtenir
une large autonomie contre une armée qui nhésite pas à
violer les principes fondamentaux et humanitaires de la Convention européenne
des Droits de lHomme. Certes, des exactions graves sont commises dans
les deux camps mais ce sont les soldats russes qui se livrent au nettoyage de
villages entiers.
Limpunité des responsables ne fait quaccroître le climat de violence.... Aucun responsable na été traduit en justice. En attendant, de nouvelles actions sont engagées et les troupes perpétuent de nouvelles violations des droits de lhomme. En décembre, le groupe de travail mixte était en Tchétchénie où il notait, avec quelque satisfaction, une légère amélioration de la situation. Dès, le lendemain, une nouvelle opération de nettoyage était entreprise par larmée russe, réduisant à zéro tous les espoirs.
M. IWINSKI (Pologne - rapporteur de la commission des
migrations, des réfugiés et de la démographie) :
On compte près de 300 000 déplacés dont lessentiel
est installé en Ingouchie. Tous ces réfugiés nont
quun espoir: rentrer chez eux. Encore faut-il que la sécurité
soit assurée dans leur région dorigine.
A Grozny, la population qui atteignait 700 000 habitants est aujourdhui réduite à moins de 200 000 personnes. La ville est complètement dévastée. La sécurité est totalement déficiente, en particulier la nuit. Moins de 50% des enfants de Grozny sont scolarisés.
Mme RAGNARSDÓTTIR (Islande) :
La population tchétchène vit largement en dessous des normes minimales
de la dignité humaine. Il est essentiel et urgent de trouver une solution
à ce drame avant que les épreuves subies ne se transforment en
une haine indéfectible qui conduira à un cercle vicieux de violences
échappant à toute emprise.
Ces événements doivent sans cesse être rappelés à la communauté internationale. On ne peut la laisser oublier un problème dont chacun doit se sentir responsable.
M. EINARSSON (Suède) :
Il nappartient pas au Conseil de lEurope de résoudre les
conflits militaires. Le règlement de la guerre en Tchétchénie
nécessite une solution politique qui ne pourra être négociée
que par la Fédération de Russie et par les populations tchétchènes
sur base du respect des droits de lhomme, de la primauté du droit
et de la démocratie. Le Conseil de lEurope peut aider à
mettre en place les conditions nécessaires pour favoriser la recherche
de cette solution politique.
M. BÁRSONY (Hongrie) :
On note heureusement un début de bonne volonté de part et dautre.
La communauté internationale doit rester ferme et exiger que les parties
se réunissent autour dune table de négociations car seule
une solution politique sera viable. Ceux qui approuvent la solution militaire
se discréditent.
M. van der LINDEN (Pays-Bas) :
La situation a peu changée et reste très grave, bien que, depuis
le 11 septembre, la Tchétchénie ait disparu des préoccupations
prioritaires. Lorateur a été profondément déçu
quand le Chancelier Schroeder a estimé quil fallait maintenant
traiter différemment la question tchétchène à cause
de la lutte contre le terrorisme.
La situation des réfugiés demeure dramatique, les droits de lhomme continuent dêtre violés et la corruption ne recule en rien. On continue de recenser des disparus, des charniers, des carnages.
Lorateur constate et déplore la différence de tonalité entre les propos de M. Bindig et ceux de M. Iwinski. Il souhaiterait que les rapporteurs sexpriment avec plus de clarté.
Le PPE votera le projet de recommandation tout en restant très critique sur de prétendus progrès.
M. SLUTSKY (Russie) :
Les camps où les gens vivaient dans des wagons, dans des conditions abominables,
ont disparu et les camps de tentes devraient même être éliminés
au cours de cette année. Plus de 50 % des personnes déplacées
se disent maintenant prêtes à rentrer chez elles ou à sinstaller
dans les logements nouvellement construits. Il reste maintenant à convaincre
ceux qui ont encore peur. Un million de dollars environ a été
dégagé à cet effet. Le problème des camps est donc
maintenant presque totalement résolu.
Lannée 2002 verra aussi ladoption dune constitution de la République tchétchène. Le groupe de travail est parvenu en effet à faire travailler ensemble les forces politiques de ce territoire, y compris celles qui soutiennent M. Maskhadov. Le «Conseil consultatif à large assise», qui a déjà tenu une première réunion, commencera à fonctionner.
Les attentats du 11 septembre ont appris à tous quils devaient unir leurs efforts contre le terrorisme international, et non contre ceux qui, comme la Russie, essaient de combattre ce fléau.
M. Serguei KOVALEV (Russie)
sinterroge sur le comportement des autorités de la Fédération
de Russie. Par example, aucune enquête na encore abouti sur le «nettoyage»
du village dAldi, effectué en février 2000. On a retrouvé
plus de 50 cadavres, mais non les coupables. Des corps darmée ignorent
ou prétendent ignorer les mouvements de leurs unités. En février
2001, on a de même découvert une fosse commune dans une coopérative;
les 50 corps portaient des traces de torture. Lenquête est également
infructueuse. Pourtant, cette coopérative se trouvait dans une zone protégée
par les troupes de la fédération. Il est vrai que laffaire
na éclaté que parce que des soldats revendaient les cadavres
aux familles des victimes.
La procédure ouverte contre un colonel accusé davoir étranglé une jeune fille tchétchène traîne depuis des mois, bien que les faits ne soient pas contestés. Le ministre de la Défense a même déclaré quil comprenait, sur un plan humain, le comportement de ce militaire et un expert a expliqué que lhomme avait agi sous le coup de lémotion. Cest sans doute aussi sous le coup de cette même émotion quil a enterré le corps, ordonné quon tire sur un village et commis dautres exactions du même genre! Lorateur constate que les tribunaux font preuve de plus de fermeté lorsquil sagit de fermer une chaîne de télévision indépendante. Le Président Poutine souhaite une démocratie «gérable»: il faut certainement entendre par là une presse et une justice aux ordres. Le Conseil de lEurope ferait bien de sinterroger sur cette évolution.
M. ROGOZIN (Russie)
ne commentera pas le propos de lorateur précédent - il faudrait
sattarder sur chaque mot - mais sétonne quil ait pu
prétendre parler au nom du groupe libéral.
Après les attentats du 11 septembre, lattitude à tenir envers les groupes et doctrines extrémistes devrait faire lobjet dun consensus. Or, certains nont visiblement pas renoncé à de petits jeux bien dangereux. Ainsi, en Tchétchénie, on souhaite un dialogue avec des loups déguisés en agneaux, mais lon ne parle pas de patriotes qui ont été chassés en 1991, par dizaines de milliers. Lorateur souhaiterait quon ne cherche pas ainsi à leurrer les gens. Ceux qui ont détourné des avions le 11 septembre prétendaient se venger des Etats-Unis pour des raisons politiques.
Lorateur nest pas convaincu que la négociation soit le seul moyen daboutir à une solution politique, mais il pense néanmoins quil faut négocier avec ceux qui se sont trouvés piégés dans les montagnes après avoir perdu leurs proches ou leurs maisons, ainsi quavec tous ceux qui ont quitté la Tchétchénie, quils soient Russes ou Tchétchènes. Il faut les réintégrer tous dans le processus politique. En revanche, il ne peut en être de même avec ceux quévoquait un journal en janvier et qui se sont trouvés en relation avec Ben Laden. Il ne faut pas encourager, même indirectement, le terrorisme.
M. GRACHEV (Russie)
Comment évoquer «deux camps»
quant on parle de la Tchétchénie? Après le 11 septembre,
a-t-on parlé de la poignée de terroristes qui avaient commis des
attentats barbares comme dun «camp»? De même, en Tchétchénie,
il y a dun côté la population, et de lautre des terroristes!
En fait, lécrasante majorité de ceux qui parlent de la Tchétchénie
ignorent ce qui sy passe, ce qui nest pas le cas du groupe de travail
mixte. Cette conception à géométrie variable du terrorisme
finira par avoir des conséquences désastreuses, tant la menace
est grande du terrorisme biologique. Si elle est mise à exécution,
on se rendra compte, trop tard, de la perversité de la politique du «deux
poids, deux mesures» et de la trop grande tolérance quelle
a provoquée. La situation en Tchétchénie est provoquée
par des bandits, il ny a pas dautres mots pour les qualifier, et
ces bandits menacent la population. Quant à M. Serguei Kovalev, il représente
une toute petite minorité à la Douma, et il na donc aucune
autorité pour sexprimer comme il la fait.
Mme ZWERVER (Pays-Bas)
remercie les rapporteurs, et notamment M. Bindig, qui conclut sans ambiguïté
qu «aucune amélioration tangible de la situation relative
aux droits de lhomme en République tchétchène na
pu être observée lannée dernière». Malheureusement,
la commission des questions juridiques nest pas la seule de cet avis,
et les représentants de Médecins sans frontières ont brossé,
hier encore, un tableau tout aussi sombre de la situation, ajoutant que le
Conseil de l'Europe avait commis une erreur en rétablissant sans condition
le droit de vote de la Russie.
Comment peut-on concevoir que le Parquet local nengage aucune poursuite alors que les viols, les tortures et les pillages sont de pratique ordinaire?
Loratrice n'est pas d'accord avec M. Iwinski qui a dit, dans son rapport, que 30% des personnes déplacées sont des "migrants économiques". La situation des réfugiés est catastrophique, et ce nest pas parce que certains dentre eux, repliés en Ingouchie, ont réussi à ouvrir de misérables commerces pour survivre, quils doivent être considérés comme des émigrants économiques! Cest dailleurs lavis du HCR, qui les considère comme des personnes déplacées.
Lord Judd est contre les sanctions. Il en tient pour le dialogue, et souhaite renforcer la démocratie en Russie. Mais pourquoi ne sallie-t-il pas, dans cette démarche, avec M. Serguei Kovalev et les ONG qui, telles Mémorial, se battent, sur place, pour le respect des droits de lhomme?
Ce quil faut obtenir, et au plus vite, cest le retrait des troupes russes de Tchétchénie et des négociations avec M. Maskhadov. Il y faut une véritable volonté politique, que le Conseil de l'Europe doit manifester, lui aussi, en assumant ses responsabilités. En clair, si la Russie ne respecte pas les valeurs démocratiques, si la situation des droits de lhomme ne saméliore pas en Tchétchénie, des sanctions doivent être imposées à la Russie. Si elles ne le sont pas, le débat daujourdhui se répétera dannée en année.
(Séance de l'après-midi - suite et conclusion du débat)
LORD JUDD (Royaume-Uni) :
Le scepticisme est sans doute indispensable,
mais il ne doit pas empêcher de reconnaître certains changements.
Le Bureau de M. Kalamanov constitue un embryon dorganisme de protection
des droits de lhomme. Le groupe de travail mixte pourrait également
obtenir certains résultats.
Pour consulter le texte de
la résolution :
http://stars.coe.fr/index_f.htm
Actualité
Session d'hiver de l'Assemblée plénière (21 - 25 janvier
2002)
Liste de textes adaptés à cette réunion
RES 1270 - Conflit en République tchétchène