'Un témoin indésirable'' d'Andreï Babitski, Ed. Robert Laffont (247 pages, 20 euros)

Andreï Babitski témoigne du ''génocide'' tchétchène

22 mars 2002

par Bernard Giansetto

PARIS (AP) -- ''La jeune génération tchétchène n'a plus de liens avec la Russie, contrairement à ses aînés, et elle n'a plus d'autre projet que la vengeance face aux exactions de l'armée russe'', estime le journaliste russe Andreï Babitski qui publie ''Un témoin indésirable'' chez Robert Laffont.

De passage à Paris pour présenter son livre, qui se lit comme un roman d'aventures, Andreï Babitski évoque son expérience douloureuse dans la petite république caucasienne et tente d'entrevoir un avenir qui, dans l'immédiat, est terriblement sombre.

Expérience douloureuse au sens propre car le journaliste, qui travaille à l'antenne moscovite de la station américaine ''Radio Liberté'' a été enlevé en Tchétchénie par le FSB, le Service fédéral de sécurité issu du KGB, et a été détenu dans un de ces sinistres camps de ''filtration'' par lesquels les autorités essayent d'identifier les personnes soupçonnées de séparatisme.

L'affaire avait fait grand bruit au début de l'an 2000, d'autant que l'armée russe avait finalement prétendu avoir ''échangé'' le journaliste contre des prisonniers russes avec les séparatistes tchétchènes.

Andreï Babitski explique qu'il s'agissait alors manifestement de le compromettre. Il s'agissait aussi de décourager toute velléité de ''couvrir'' la guerre de Tchétchénie par la presse. Ce but-là a été atteint.

Certes, Andreï Babitski n'est pas un chaud partisan de ce que l'on qualifie à Paris de politique ''coloniale'' de la Russie envers la petite république rebelle. Il n'hésite pas à employer le mot de ''génocide'' face à la tactique de terre brûlée appliquée par l'armée russe. Mais il n'est pas non plus un inconditionnel de la cause tchétchène, estimant aujourd'hui que si la petite république ne s'était pas séparée brutalement de la Fédération de Russie elle serait aujourd'hui sans doute ''l'une des régions les plus riches du pays, grâce notamment au dynamisme et à l'esprit d'entreprise des Tchétchènes''.

Mais l'on ne refait pas le passé et Andreï Babitski ne voit pas comment, désormais, Russes et Tchétchènes pourraient encore revivre dans la ''maison commune'' Russie. Il ne croit pas à l'implication massive des séparatistes dans Al-Qaïda: la presse russe n'a pas trouvé de combattants tchétchènes en Afghanistan et ce n'est pas faute d'avoir cherché, souligne-t-il.

N'existe-t-il pas néanmoins un risque de dérapage dans le terrorisme aveugle et suicidaire à la palestinienne?, lui demandait cette semaine le philosophe français André Glucksman lors d'une rencontre avec des journalistes français et russes.

Réponse: le président tchétchène Aslan Maskhadov, qui conserve selon lui ''une autorité morale à défaut d'avoir une autorité militaire, n'a pas encore perdu l'espoir d'ouvrir des négociations et de terminer la guerre. Certes, on ne peut exclure une option terroriste dans l'avenir. Mais jusqu'à présent, les Tchétchènes font la guerre en accord avec leurs propres traditions, à savoir la loi du talion, règle fondamentale de la société tchétchène qui exclut toute vengeance aveugle''.

L'armée russe, quant à elle, poursuit la guerre selon des méthodes éprouvées. Le président russe Vladimir Poutine ''pense qu'une longue campagne militaire finira pas être victorieuse'', conclut M. Babitski, à l'instar de ce qui s'est passé face à la résistance (à la soviétisation) balte et ukrainienne après 1945. ''Il croit ainsi combattre la désintégration de la Fédération de Russie''.