Rapport de Mission
DE BERRY-BOUY A KARAB0ULAK
à l'aide des réfugiés tchétchènes
27 juillet au 10 août 2001
Franck et Manuela CARREY
2 - Droits de l'Homme
3 - Situation humanitaire
4 - Possibilités de réalisation de programmes d'aide associatifs
4.1 - Modalités techniques
4.2 - Modalités pratiques
4.3 - Destination de l'aide
De nombreuses associations ont travaillé en réseau pour convoyer de l'aide humanitaire dans les Balkans ; ces travaux, que certaines d'entre elles ont poursuivi et élargi, ont également permis des prises de contact très diverses, fréquemment devenues d'excellentes relations de travail et d'amitié avec les destinataires de cette aide. A cette occasion, des renseignements ont été recueillis sur la situation des droits de l'homme, ce qui a aussi servi à étayer les pressions d'ordre politique afin que les puissances occidentales interviennent dans le cours de ces crises.
Nous avons voulu évaluer les possibilités de renouer avec cette pratique à propos de la guerre en Tchétchénie, selon des modalités différentes. En effet, si les travaux du Convoi Syndical pour la Tchétchénie ont un caractère exemplaire, la technique du convoyage semble cependant poser des problèmes particuliers et beaucoup plus complexes que ceux que nous avons connus dans les Balkans : temps et argent nécessaires, procédures administratives Une forme plus légère d'intervention doit donc être développée ; elle peut éventuellement passer par l'achat d'aide en Ingouchie ou dans les républiques voisines. Ce travail peut être réalisé rapidement et par une équipe légère.
Nous nous sommes donc rendus en Ingouchie, à Nazran précisément, en août 2001, pour une dizaine de jours, à deux personnes. Ce voyage nous a permis d'avoir un aperçu de la situation humanitaire, de la situation des Droits de l'Homme, et d'étudier la faisabilité de notre aide.
2.1 - Situation des Droits
de l'Homme en Ingouchie
La crainte d'une entrée en guerre de la Russie contre l'Ingouchie, soit par extension de la guerre en Tchétchénie, soit lorsque celle-ci aura pris fin, joue probablement un rôle important dans le comportement de l'état et de la police Ingouches à l'égard des réfugiés Tchétchènes. Les propos fraternels à l'égard de la Tchétchénie, et provocateurs à l'égard de la Russie, du Président Rouslan Aouchev, sont maintenant bien loin derrière nous. Les forces fédérales russes semblent également intervenir en Ingouchie contre les réfugiés.
Nous avons pu constater les conséquences suivantes.
La grève de la faim entamée par certains réfugiés en camps après les ratissages de Sernovodsk et Asinovskaïa au début du mois de juillet semble avoir été interrompue par la force, les grévistes de tous âges ayant été passés à tabac par les fédéraux russes.
Nous avons rencontré une équipe de télévision allemande prise à parti par la police Ingouche alors qu'elle tournait un reportage sur " la Marche vers Moscou" le 1er août. Cette marche symbolique contre la guerre devait relier la frontière tchétchéno-ingouche à Moscou, mais compte tenu des risques inhérents, ne regroupait que quelques dizaines de personnes. Elle a effectivement été interrompue par la force dès le premier jour, et certains de ses participants semblent avoir été incarcérés, pour une durée qui ne nous est pas connue. Ces faits ont été confirmés par Sergueï, militant russe des Droits de l'Homme, membre de Memorial, venu de Moscou pour suivre cette marche. (Cette marche a pu reprendre par la suite, elle est arrivée à Strasbourg le dimanche 23 septembre 2001.)
D'une façon générale, des entraves à la liberté de circulation des réfugiés sont mentionnées par les réfugiés des camps ainsi que par Khamzat, ancien professeur à Grozny, exerçant à Nazran les fonctions d'interprète.
Dans les camps eux-mêmes la sécurité est précaire ; par exemple au camp Alina de Sleptsovskaïa, où après une bagarre possiblement provoquée par des Ingouches, les fédéraux russes sont intervenus et ont arrêté uniquement des tchétchènes (information rapportée par des réfugiés des camps) ; il existe aussi des " mouchards " au service de la police ; ce renseignement est confirmé par une ONG présente sur place.
Un certain nombre de réfugiés, victimes de manuvres d'intimidation, n'osent pas se faire enregistrer par les autorités et ne perçoivent donc aucune aide (sources : chef d'un camp à Troïtskaïa ; Memorial). Nous avons ainsi rencontré un réfugié victime de l'opération de nettoyage d'Asinovskaïa ; il a déclaré avoir été détenu dans un cachot et torturé pendant cinq jours, puis abandonné dans la campagne, les yeux bandés, avec quelques compagnons. Il est parvenu à retrouver sa femme et a fui vers le camp de Bart (village de Karaboulak) ; il ne s'y est pas fait enregistrer car il a été menacé : il pense qu'il est impossible de retourner dans son village car les Russes vont recommencer.
Quant au recueil de témoignages, il doit être effectué de façon très discrète même à l'extérieur de la Tchétchénie (cas d'une ONG médicale de terrain ayant recueilli des témoignages auprès de réfugiés en Ossétie, qui ont ensuite été arrêtés).
Le bureau de l'organisation russe Memorial à Nazran tente de collecter des témoignages et de venir en aide à des familles en difficulté, mais d'une part il subit des pressions, d'autre part il n'a pas de moyens financiers : le bureau central de Memorial paye les membres qui travaillent en Ingouchie, mais n'attribue pas de subvention (source : Memorial Nazran, responsable et secrétaire).
Signalons également le cas d'un professeur, ancien résistant lors de la guerre de 1994 - 96, détenu à ce titre en Ingouchie et dont l'incarcération semble prolongée parce qu'il pourrait enseigner dans son camp, alors que 3.000 US dollars ont été versés pour obtenir sa libération !
2.2 - Situation des Droits
de l'Homme en Tchétchénie
Nous n'avons pu séjourner en Tchétchénie suffisamment de temps et dans des conditions permettant un travail d'enquête, mais les informations collectées auprès des réfugiés et des ONG en Ingouchie prouvent que la situation continue à s'aggraver.
Les opérations de "nettoyage" de Sernovodsk et Asinovskaïa ont été parmi les plus barbares depuis le début de l'agression russe : hommes détenus dans des conditions particulièrement dures, torture systématique (véhicules équipés pour torturer à l'électricité), pillage total, destructions : ceci dans un secteur proche de la frontière avec l'Ingouchie et jusqu'à présent réputé "sûr".
Il semblerait que les victimes n'aient pu déposer une plainte auprès de la procurature militaire, soit qu'elles aient été dissuadées de le faire lors de leur détention, soit que la procédure ait été rendue administrativement impossible. Par ailleurs, aucun médecin n'est en situation d'établir les certificats descriptifs des lésions, les médecins tchétchènes étant directement menacés au cas où ils le feraient ; enfin, les papiers d'identité sont détruits (source : Memorial, bureau de Nazran). On est donc bien loin des promesses de justice de Vladimir Poutine
De nouveaux massacres sont mentionnés ; par exemple fusillade de civils dans une mosquée à Starye Atagui, survenue fin juillet ou début août.
Des tortures d'une barbarie indescriptible continuent d'être pratiquées : pour ne pas revenir sur les témoignages connus de tous, citons les arrachages dentaires, l'émasculation (source : ONG médicale de terrain).
Aucun des témoignages recueillis n'a laissé entrevoir le moindre fléchissement dans l'arsenal de terreur mis en place par les forces russes en Tchétchénie contre les civils. Au contraire, le système s'enracine dans une logique du pire.
L'aide humanitaire est, elle aussi, confrontée à d'importantes difficultés de fonctionnement (voir chapitre suivant), ce qui laisse ceux qui tentent de survivre en Tchétchénie en grande partie livrés à eux-mêmes.
Dans ces conditions, c'est un véritable piège qui se referme sur les Tchétchènes, menacés en Ingouchie, subissant de la part du gouvernement russe et du commandement tchétchène pro-russe des pressions pour rentrer ou rester en Tchétchénie où ils se trouvent en danger immédiat, mis dans l'incapacité de quitter le Caucase par les accords entre régime russe et états occidentaux et par le prix dissuasif des démarches (plus de 1000 US dollars pour obtenir un passeport et un visa).
Le terme de génocide est aujourd'hui tabou dans le langage officiel, car il fait référence à des crimes marqués au sceau de l'histoire et dont on voudrait considérer qu'ils n'ont pas eu d'équivalents ; c'est pourtant ce mot qui est revenu le plus régulièrement dans le discours des réfugiés comme dans celui des membres d'ONG, et force est de reconnaître, si cette évidence n'était pas déjà admise, que c'est celui qui correspond le mieux à la réalité.
3.1 - Situation
humanitaire en Ingouchie
La plupart des ONG présentes dans le territoire (quinze à vingt) sont basées à Nazran, dans un quartier pavillonnaire proche de l'actuelle présidence de la république.
Les moyens et effectifs sont notoirement insuffisants par rapport au nombre de réfugiés restant en Ingouchie (probablement aux environs de 100.000). Une partie de ces réfugiés vit en dehors des camps, ce qui n'est pas toujours synonyme d'une meilleure situation, des logements insalubres et fréquemment sans l'eau courante étant négociés très cher (source : une responsable de service à l'UNICEF).
Nous avons visité deux types de camps : les camps de tentes (par exemple : Bart, Alina) et les camps construits dans d'anciennes fermes d'état (Kolkhozes) parfois toujours en service (exemple : Troïtskaïa, Nazran). Les conditions en termes de promiscuité et d'absence d'intimité sont hélas comparables : plusieurs dizaines de personnes sous une tente, dix à trente personnes dans une " chambre " (ancienne case à bestiaux ou petite construction faite par les réfugiés eux-mêmes dans les étables les plus vastes) selon sa superficie.
En été, la chaleur est moins dure dans les bâtiments que sous les tentes (inhabitables en journée). En hiver, ceux-ci pourraient également être moins durs à chauffer, mais leurs ouvertures multiples et l'absence d'isolation doivent réduire les volumes chauds à la proximité immédiate des poêles.
Quel que soit l'âge, le couchage se fait sur des planches et des tapis, en l'absence totale de matelas. Les personnes âgées et les malades vivent cette situation encore plus péniblement.
Sur le plan médical, Médecins Sans Frontières et Médecins du Monde approvisionnent en médicaments et en matériel médical des dispensaires mobiles ou fixes dans lesquels consultent des médecins locaux. Les médicaments doivent être achetés en Russie ; la qualité est parfois insuffisante. Les anesthésiques et médicaments psychiatriques posent un problème particulier car leur circulation est interdite par les autorités russes (par exemple : pour une intervention ou un accouchement en Tchétchénie, les anesthésiques sont achetés au marché noir par le patient ou la famille) (source : Médecins Sans Frontières).
Sur le plan sanitaire, on notera l'état désastreux des chambres aménagées dans des étables encore en service (très nombreux insectes, fumier, mauvaises odeurs ...).
Par ailleurs, le problème de l'adduction d'eau, très fréquent dans les camps de réfugiés, revêt ici une acuité particulière. Dans la plupart des camps, les ONG livrent de l'eau en citerne ou remplissent des réservoirs souples.
Cet approvisionnement est souvent insuffisant ou sujet à retard. Le risque est l'utilisation d'eaux de pompage ou de résurgences alors que les latrines sont présentes en quantité très limitée (une pour cent à deux cents réfugiés), ce qui est facteur de survenue d'épidémie.
La scolarisation est l'un des services les mieux assurés, ce que nous avons pu constater en accompagnant les membres de l'Association C.P.C.D. au camp d'Alina, où fonctionne une école ergothérapique installée par celle-ci (jeux, activités physiques, dessin) ainsi qu'un jardin d'enfants animé par la Croix Rouge ; dans la mesure de ses moyens, C.P.C.D. paye les enseignants (voir aussi à ce propos les projets du Syndicat Sud).
Nous avons également accompagné Jarka, de l'ONG tchèque PINF, dans la visite des écoles de plusieurs camps autour de Karaboulak et Sleptsovskaïa. Cette ONG assure un excellent travail en suivant les écoles en fonctionnement, en rencontrant les enseignants et en incitant à l'ouverture d'écoles dans les camps qui n'en disposent pas encore, par un travail de négociation avec les responsables de ces camps.
D'autres ONG travaillent également sur l'éducation. Mais faute de moyens suffisants, des carences se font sentir, en particulier en places disponibles, en matériels scolaire et pédagogique. Par ailleurs, si les enfants d'âge scolaire sont pris en charge, aucune solution ne semble disponible pour les collégiens (témoignage d'un jeune réfugié d'Alina, parlant un peu anglais et rêvant de venir en Europe pour continuer ses études).
Quelle que soit la situation actuelle, cet effort sur l'éducation mérite d'être soutenu car il participe à la survie de la culture et de l'identité du peuple tchétchène.
Enfin, il est important de signaler que toutes les ONG achètent la plus grande partie de leur matériel de travail et de don en Fédération de Russie, pour éviter les problèmes de douanes et de convoyage.
3.2 - Situation
humanitaire en Tchétchénie
Les constatations que nous apportons ici résultent de nos entretiens avec les ONG qui ont une activité en Tchétchénie. Certaines d'entre-elles, par exemple Help, organisation allemande, effectuent des convoyages presque quotidiens vers Grozny ou d'autres villes.
Toutefois, le travail en Tchétchénie devient de plus en plus délicat ; la résolution numéro 22, récemment prise par le gouvernement tchétchène pro-russe, était en discussion lors de notre visite, et une délégation d'ONG devait se rendre à Grozny pour solliciter son assouplissement ; en effet, cette résolution complique largement les convoyages en exigeant la communication de nombreux détails pratiques plusieurs jours avant le départ, et en soumettant des questionnaires complexes aux responsables.
Notons également l'arrestation d'un Anglais, membre d'une ONG, en reconnaissance dans la région d'Urus Martan, qui a été expulsé avec interdiction définitive de rentrer en Russie (lors des formalités d'enregistrement à Nazran, nous avons nous-mêmes été menacés d'une telle mesure).
Concernant les problèmes médicaux, sanitaires, alimentaires, et autres, il est évident que ceux qui tentent de survivre dans les villes en ruines ne peuvent percevoir le minimum nécessaire. En matière d'alimentation et de logement, la situation semble légèrement moins critique, quoique très en deçà des exigences, en milieu rural, où les destructions sont moindres, et où agriculture et élevage restent parfois possibles.
Là encore, l'éducation fait l'objet d'un soin particulier : au sein d'un programme coordonné par l'UNICEF (nous avons pu assister à une réunion sur ce thème), de nombreuses ONG interviennent pour reconstruire ou réhabiliter des écoles : citons PINF (Grozny), Danish Refugees Council (Urus Martan, etc ), CPCD (Alkhan Yurt, Komsomolskoe, etc ). Les carences restent toutefois lourdes (exemple : urgence pour le redémarrage des écoles de Sernovodsk et Asinovskaîa en septembre).
D'une manière générale, l'aide humanitaire en Tchétchénie reste très inférieure à ce que l'état de dévastation du pays exigerait et d'un niveau tout à fait contradictoire avec les incitations au retour des réfugiés. Le nombre d'ONG de terrain, quoique important, reste très insuffisant. Les inadmissibles difficultés administratives opposées par le régime russe à la mise en place de cette aide et les risques encourus par les humanitaires "expatriés" semblent compter pour beaucoup dans cet état de choses.
Si une souplesse de fonctionnement, une reproductibilité et une facilité de réalisation sont souhaitées, les achats sur place seront préférables aux dons à convoyer ; encore une fois, les ONG procèdent ainsi. Les achats peuvent avoir lieu en Ingouchie ou dans les républiques voisines, en évitant l'Ossétie, des difficultés douanières semblant persister depuis le conflit de 1992 avec l'Ingouchie.
A titre d'exemple, nous avons procédé à un achat de produits d'hygiène pour un camp de Troïtskaïa par ailleurs approvisionné de la façon précédemment décrite en eau et en nourriture, mais souffrant de carences en ce domaine.
Pour un budget symbolique de 200 US dollars (1.600,00 francs) nous avons pu obtenir 170 brosses à dents, 170 tubes de dentifrice, 70 paquets de lessive et 260 savonnettes, 30 litres d'huile de cuisine ont complété cette acquisition, efficace au niveau d'un camp de petites dimensions, et laissant entrevoir les possibilités offertes par un budget plus important.
Nazran est une bonne base de travail (présence des ONG, proximité des frontières avec la Tchétchénie, existence d'un hôtel "sûr".
Nazran peut être rejointe en avion, ou à défaut en train ou en autobus, depuis Moscou. Les billets seront achetés sur place. L'aéroport est distant de la ville d'une trentaine de kilomètres ; certaines précautions doivent être prises dès l'arrivée pour limiter les risques d'enlèvement et il n'est donc pas recommandé de monter dans le premier taxi disponible.
Ces risques semblent pouvoir être maintenus à un niveau acceptable en disposant d'un contact préalablement établi à l'arrivée, en circulant avec des membres d'ONG ou des chauffeurs recommandés par leurs soins, en évitant les déplacements à pied en campagne ou dans certains quartiers, ainsi qu'à certaines heures. Le contact avec les forces de police n'est pas forcément un gage de sécurité supplémentaire.
Plus on se sent à l'aise, plus le risque s'accroît et les précautions ne doivent pas être relâchées. Les ONG insistent largement sur le tort qu'un enlèvement d'humanitaires porterait à leur action.
A ce titre, l'ONU recommande à ces ONG de ne se déplacer qu'avec un garde armé. Hormis certains cas particuliers, cette mesure semble superflue ; on se sent mal à l'aise au milieu des réfugiés en compagnie d'un porteur de mitraillette, et la fiabilité de ces personnels reste à être éprouvée ; sont-ils réellement dévoués à la cause ? Les ONG perçoivent mal cette recommandation, d'ailleurs peu appliquée, qui complique encore le travail.
La qualité de l'accueil et de l'entraide entre les ONG ainsi qu'à l'égard des visiteurs, qui comme nous, poursuivent des buts similaires, mérite d'être soulignée.
People in Need Foundation (Tchèque), International Humanitarian Initiative (polonaise), CPCD, MDM et MSF nous ont soutenu et conseillé dans nos démarches ; cette liste n'est pas exhaustive et d'autres contacts peuvent être pris. Toutefois, ceci n'oblige en rien à un travail commun. S'il est clair que des démarches lourdes, à haut budget, doivent s'inscrire dans des programmes collectifs, afin d'éviter les oublis ou les doublons, des travaux plus ponctuels peuvent être réalisés en secondant une ONG de son choix, voire en solo.
On tentera alors d'intervenir sur les carences que les ONG ne sont pas en état de prendre en charge. Si nos interventions se développent en ce sens, on pourra ainsi voir se réaliser des travaux analogues à ceux qui ont été effectués en Bosnie ou au Kosovo, en gardant à l'esprit et en préservant le réseau relationnel ci-dessus décrit, qui est un gage de qualité et de sécurité du travail.
En Ingouchie, aucune réserve ne semble exister à la réalisation de tels travaux. Les projets d'aide individuelle à des familles en difficulté, par exemple non enregistrées dans les camps ou comptant des malades ou des disparus, doivent être discrets.
Pour ce qui concerne la Tchétchénie, il est nécessaire de revenir sur les possibilités ouvertes dans le paragraphe précédent, car il est exclu d'y entrer sans l'aide d'une ONG disposant d'un agrément, sauf à choisir la clandestinité et tous ses risques. Quant aux formalités permettant d'obtenir par nous-mêmes cet agrément, elles semblent particulièrement complexes sinon impossibles.
Toutefois, de réelles possibilités de travail existent avec certaines ONG : avec l'Association polonaise IHI (ex PHO), nous avons rendu visite aux enfants et au personnel de l'orphelinat n° 1 de Grozny, réfugiés dans le camp de Nadterechnyi, au nord de la Tchétchénie. L'accueil a été très chaleureux ; un groupe d'une quinzaine d'enfants nous a offert un excellent spectacle de danses ; des chanteuses et musiciens locaux étaient également présents. Malgré les efforts déployés par IHI, les conditions de cet orphelinat restent précaires : locaux exigüs avec deux ou trois chambres pour soixante dix enfants, un seul point d'eau, manque de matériel pédagogique Nous avons tenté d'apporter notre soutien au travail d'IHI, soutien qui doit bien sûr être développé.
En dehors de l'aide matérielle directe, une considération particulière doit être apportée aux organisations de défense des Droits de l'Homme, parmi lesquelles Memorial. Le dévouement du personnel du bureau de Nazran, ouvert du lundi au dimanche, est exemplaire. La qualité des travaux accomplis en matière de recueil de témoignages et de soutien à des familles sinistrées mérite une coopération, que nous n'avons pas manqué d'apporter dans la mesure de nos moyens, mais qui doit être développée.
Nos différents contacts, entretiens et visites ne peuvent hélas que confirmer les nombreux rapports et témoignages concordants qui font état d'une situation désastreuse pour le peuple Tchétchène, tant sur le plan humanitaire qu'au sujet des Droits de l'Homme.
De nombreux éléments prouvent que ce désastre s'aggrave encore, ne serait-ce que par sa pérennisation qui épuise ce peuple et le prive de toute ressource, de tout moyen de défense.
Seuls le silence de la Communauté Internationale et la bonne entente des institutions financières avec le régime permettent au prédateur russe de s'enferrer dans le crime avec une telle barbarie ; un mutisme et une hypocrisie qui constituent, au moins, l'une des mâchoires du piège qui se referme sur les Tchétchènes.
La solidarité humanitaire associative avec les victimes de la guerre de Tchétchénie, c'est possible et c'est une action que nous nous devons de mettre en place et d'élargir.
Ainsi, nous complèterons utilement les pressions
politiques et les actions d'information conduites au sein des Comités
Tchétchénie ; nous sensibiliserons le grand public en lui donnant
un moyen supplémentaire d'agir, et nous conserverons l'indispensable
contact avec le terrain.