"Les militaires russes n'ont pas intérêt à voir la situation se normaliser."

Les soldats russes sèment le désordre à Grozny

11 mars 2002

GROZNY (AFP) - Viols, pillages, arrestations arbitraires : des hordes indisciplinées de militaires russes font la loi et sèment le désordre en Tchétchénie, selon des habitants de Grozny qui accusent l'armée fédérale de tirer profit de cette guerre.

Dans le bâtiment neuf du gouvernement tchétchène pro-russe, un véritable bunker sous haute surveillance où vivent et travaillent les fonctionnaires venus de Moscou, les employés tchétchènes ne ménagent pas leurs critiques contre les militaires.

"Cette guerre n'est pas prête de finir parce que les militaires russes n'ont absolument pas intérêt à voir la situation se normaliser. Pourquoi? Parce qu'ils touchent en Tchétchénie une solde loin d'être négligeable", affirme un responsable tchétchène pro-russe sous couvert de l'anonymat. "Pourquoi n'ont-ils toujours pas arrêté les chefs de guerre Chamil Bassaïev, Khattab ou (le président Aslan) Maskhadov sur ce territoire grand comme la moitié de la Suisse? Ou bien cette armée est la plus incompétente que la terre ait portée ou bien elle ne veut tout simplement pas les arrêter", ajoute-t-il.

Quelque 90.000 hommes sont officiellement déployés dans la république rebelle où les forces fédérales sont entrées le 1er octobre 1999. Un officier russe gagne en moyenne entre 500 et 600 dollars par mois en Tchétchénie, et un soldat, quelque 200 dollars, une solde bien supérieure à ce que leurs camarades touchent ailleurs en Russie.

"J'étais contente lorsque les militaires russes sont intervenus pour mettre fin au banditisme qui régnait ici, mais j'ai vite déchanté. Comment une armée aussi indisciplinée pourrait remettre de l'ordre quelque part?", déclare Aïlita Tchegrenova, qui travaille au service de presse du ministère des Finances dans le gouvernement mis en place par Moscou. Cette ancienne journaliste soutient par ailleurs que les cas de Tchétchènes travaillant au sein de l'administration russe tout en aidant clandestinement les rebelles ne sont pas rares. "C'était le cas lors du premier conflit et c'est toujours le cas aujourd'hui", dit-elle.

Dans l'unique hôpital de Grozny, un bâtiment délabré aux murs criblés de balles, Aïda, âgée de 34 ans, montre une plaie à vif à son pied, affirmant avoir été touchée il y a trois jours par les tirs de soldats russes. "Ce sont des tirs de mitraillette qui ont fait cette blessure", dit Magomed, un infirmier de 30 ans, en pointant les traces de balles sur le pied d'Aïda.

"Il était 05h30 du matin. J'étais en route vers l'hôpital avec ma soeur qui était sur le point d'accoucher. Mais nous avons croisé un char russe qui a ouvert le feu sur nous. Les soldats se sont enfuis après nous avoir vues, ma soeur et moi, dans la voiture. Elle et son mari n'ont été blessés que légèrement", dit-elle. "S'ils avaient été tués, on aurait dit que ce sont les dernières victimes de maraudeurs tchétchènes. Mais ce sont les Russes, les maraudeurs, ils sont toujours soûls, en quête de vodka et de filles!", s'exclame une femme dans un lit voisin.

Grozny a été le théâtre ces derniers mois de nombreux assassinats de civils russes et tchétchènes, pour la plupart non élucidés, perpétrés par des hommes masqués et vêtus de treillis. "Il est difficile de savoir combien de jeunes filles ont été violées par les soldats, car elles ont trop hontes de parler ou de venir se faire soignersi elles ont contracté une maladie", dit Mogamed.

Les viols, pillages, et tortures recensés par des ONG sur la foi de témoignages de civils, sont commis dans une impunité quasi totale. L'affaire d'un officier russe accusé du meurtre d'une jeune Tchétchène de 18 ans, qui avait été également violée, est l'une des très rares à avoir donné lieu à un procès, qui n'a cependant toujours pas abouti plus d'un an après son ouverture.