La Fédération russe réduit au silence, dans le plus pur style soviétique, le ministre tchétchène de la Santé à Genève

Présentation par Omar Khambiev, Ministre Tchétchène de la Santé, devant la Commission des Droits de l'Homme de l'ONU à Genève
le 5 avril 2001

Oumar Khambiev, délégué du Parti Radical Transnational à la Commission des Droits de l'Homme de Genève et Ministre de la Santé du Gouvernement tchétchène du Président Mashkadov est intervenu le 5 avril à la Commission des Droits de l'Homme sur le point 11 de l'ordre du jour, relatif aux " tortures et arrestations arbitraires". L'intervention, qui avait pour objet principal la situation humanitaire tragique en Tchétchène, avec une attention particulière aux tortures subies par le Ministre Khambiev et par les personnes qu'il a soignées à l'hôpital de Grozny, a été interrompue cinq fois par le délégué de la Fédération Russe sans aucune raison formelle ou réglementaire, pour être enfin définitivement réduit au silence, toujours sur requête de la délégation russe.


Intervention orale sur le Point 11 : "Droits civiques et politiques y compris les questions de: torture et détention, disparitions et exécutions sommaires, liberté d'expression, indépendance du judiciaire, administration de la justice, impunité, intolérance religieuse, états d'urgence, objection de conscience au service militaire".

Présenté par Omar Khambiev
Genève, le 5 avril 2001

Monsieur le Président, Mesdames, Messieurs,

J'ai l'honneur de prendre la parole devant vous au nom du Parti Radical Transnational. Je suis un des médecins qui ont travaillé à Grozny, sous les bombes, jusqu'au bout, jusqu'à la fin de la résistance en ville. Le 2 février 2000, nous avons été arrêtés - 18 membres du personnel médical et nos 76 blessés - dans la localité d'Alkhan-Kala, elle-même bombardée, y compris son hôpital. Dans la nuit du 2 au 3 février, nous fûmes amenés dans une unité militaire près de Tolstoï-Iourt. Après avoir été frappés et maltraités, nous fûmes jetés dans un trou qui servait de dépôt de légumes, où six de nos blessés sont morts à cause de ce traitement. Il est difficile pour moi d'en parler, je me bornerais donc à dire que j'y ai connu les heures les plus difficiles de ma vie: la cruauté et l'inhumanité envers des blessés sans défense m'ont choqués à vie. Je reste poursuivi par les cris poignants des blessés, par les coups de bottes sur les moignons sanglants des pieds et des mains arrachés par les explosions de mines. Je vois toujours leurs visages tordus par la douleur, c'était des scènes insupportables. Lors d'un de mes interrogatoires, un enquêteur du parquet, auquel je faisais part de mon indignation, a répondu: "Tu peux être médecin, tu pourrais être Dieu, cela ne change rien. Tu es un Tchétchène et on peut te tuer".

Trois semaines durant nous avons vécu l'enfer des camps de filtration. Seul un esprit malade est capable d'inventer les formes de tortures et d'humiliation qui y sont pratiquées. J'ai passé les huit mois suivants caché dans un village de montagne, sans documents - on ne me les a pas rendus à la sortie du camp. J'y ai soigné les blessés jusqu'à ce que je ne tombe malade moi-même - sequelles des tortures subies durant la "filtration". Aujourd'hui, il y a plus de 800 camps et "points" de filtration en Tchétchénie. Celui, tristement célèbre, de Tchernokozovo est devenu un camp "Potemkine", alors que les vrais camps sont transférés plus profondément en Tchétchénie. Chaque unité militaire des forces de l'intérieur, de sécurité ou de l'armée possède son point de filtration - des trous où on torture et où on tue les personnes arrêtées aux postes de contrôle ou durant les "ratissages". Si une rançon n'est pas apportée dans les 3 ou 4 jours, la personne arrêtée peut disparaître sans traces. Celle qui a la chance de rester vivante est expédiée, sans enquête ni jugement, d'une prison à l'autre en Russie et peut être ramenée à Tchernokozovo pour y être mise "en vente". Celle qui ne trouve pas de parent-acheteur peut refaire toute l'étape. J'ai moi-même aidé les parents de deux membres de notre collectif médical à les racheter à Tchernokozovo. Ces trous, ces tortures pour pousser au rachat et ces prisons constituent un mécanisme, un système mis au point par les structures de forces de la Russie pour leur propre enrichissement et pour casser, détruire la population de Tchétchénie.

Le résultat de ce système: plus de 20.000 disparus sans trace et à peu près autant détenus actuellement dans ces centres de "filtration". Les corps récemment découverts près de Khankala ne représente qu'une partie infime de ce que font les armées russes en Tchétchénie. On retrouvera un jour ces charniers par centaines.

La décision de l'Assemblée Parlementaire du Conseil de l'Europe (PACE), qui a rendu le 25 janvier le droit de vote à la délégation de Russie, fut perçue par les dirigeants militaires russes comme un quitus à leur politique de destruction de la population tchétchène. Des militaires déclaraient cyniquement à leurs victimes que l'Europe leur a donné le droit de les tuer. Les exécutions sommaires et les disparitions ont augmenté, de même que les flux de réfugiés. C'est pourquoi des habitants de Tchétchénie demandent qu'on ne leur envoie plus de visiteurs sous contrôle des forces russes, qui font des déclarations irresponsables sur "l'amélioration" de la situation en Tchétchénie.

Selon des estimations faites par le ministère de la santé tchétchène, en août 2000, il y avait 87.000 tués, 200.000 blessés, plus de 30 % de la population chassée de chez elle, 90 % des institutions médicales détruites.

C'est le résultat de l'usage, contre une toute petite république, dans une guerre qui n'est ni anti-terroriste, ni religieuse, mais coloniale, de l'immense force militaire accumulée par l'ex-super puissance pour être à parité avec l'OTAN. Presque toutes les formes d'armement disponibles ont été utilisées: J'ai soigné des personnes blessées par des missiles sol-sol, par des systèmes d'armes grad, ouragan, burratino, skelet, par des bombes à effet de dépression, par des bombes à fragmentation de toute natures (aiguilles, etc .), par des mines déguisées, par des bombes contenant des produits chimiques neuroparalysant. J'ai aussi des raisons de soupçonner des préparatifs à user en Tchétchénie d'armes bactériologiques.

Dans cette situation tragique pour mon peuple, quand les organisations humanitaires médicales qui tiennent à travailler selon leurs principes d'indépendance, ont dû cesser leur action en Tchétchénie, quand les institutions de défense des droits de l'homme sont paralysées, quand les dirigeants de gouvernements démocratiques font des amabilités au Kremlin en échange de son gaz, il ne me reste qu'à demander à la communauté internationale une aide médicale pour ceux qui sont encore vivants en Tchétchénie et pour les réfugiés à l'extérieur.

Cette aide humanitaire est fondamentale, mais elle ne sera que de peu d'utilité si l'on ne met pas un terme aux sources de la catastrophe humanitaire. Pour parler la langue des médecins, l'ONU doit jouer le rôle du thérapeute, qui soigne la maladie et non le symptôme de la maladie qui continue à progresser. Pour cela, il est indispensable:
1. que l'ONU obtienne l'ouverture de négociations sérieuses, garanties par des intermédiaires, entre les dirigeants russes et le président légitimement élu de la république tchétchène Aslan Maskhadov pour une issue politique du conflit.
2. L'ONU doit aussi désigner un rapporteur qui donnerait son avis sur les violations massives des droits de l'Homme en Tchétchénie.

J'espère en votre sagesse, j'espère que vous écouterez une personne qui connaît cette situation de l'intérieur, pour l'avoir vécue.

Je voudrais terminer mon intervention avec une malheureusement triste annonce: hier, Dimitry Neverowsky, un membre du Parti Radical Transnational a périt dans des conditions bizarre. Neverowsky avait refusé de prendre part au régime de terreur instauré contre le peuple tchétcéne et avait fait de la prison pour défendre ses idées. Nous allons chérir la mémoire de gens comme lui.

Monsieur le Président, Mesdames, Messieurs, merci de votre attention.


Déclaration d'Olivier Dupuis, secrétaire du Parti Radical Transnational et député européen :

"Les méthodes utilisées par la délégation russe à la Commission des Droits de l'Homme de l'ONU est malheureusement l'énième confirmation du retour aux méthodes et au style soviétiques du nouveau pouvoir russe. Ces mêmes comportements, à l'origine de la seconde guerre en Tchétchénie et de la politique post-coloniale mise en ouvre dans les républiques ex-soviétiques d'Asie centrale et du Caucase méridional, sont à tel point en train de se répandre dans le cour même de la Russie - avec, en particulier, la mise sous contrôle féroce des mass media - que ces chancelleries européennes qui avaient, sans aucune retenue, chanté les louanges du " nouveau cours putinien " commencent à se préoccuper. J'espère au moins que l'arrogance et la violence démontrées hier à Genève par le diplomate russo-soviétique à l'égard du Ministre tchétchène de la Santé puissent aider l'Europe à changer radicalement sa politique à l'égard de Moscou, à commencer par sa politique de "tolérance" du type de celle des maisons de tolérance à l'égard de la tragédie en cours en Tchétchénie."