"Au fond, les leaders occidentaux savent, mais sont prêts à tout..."

Le coup de gueule de l'ancien dissident Sergueï Kovalev

26 décembre 2001

LE MONDE

A l'heure où le Conseil de l'Europe déplore timidement l'absence de la moindre "avancée" en Tchétchénie ; au moment où les agences onusiennes, dans la perspective de l'"offensive finale" promise par les militaires russes contre la région, quittent leurs représentations en Ingouchie ; alors que l'Organisation pour la sécurité en Europe (OSCE) vient d'accepter une limitation de son mandat à la fin de 2002 ; face, enfin, au pourrissement de la situation sur place tel qu'il est rapporté par Memorial, le président d'honneur de cette ONG russe, Sergueï Adamovitch Kovalev, s'est insurgé, auprès du Monde, contre l'attitude occidentale.

"Vous ne voulez rien voir ! proteste-t-il. Vous nommez un Lord Judd rapporteur au Conseil de l'Europe. Mais Lord Judd s'est égaré dans ses manœuvres, il hésite entre la vérité et la politesse. A l'origine, le Conseil de l'Europe devait veiller au respect des droits de l'homme. Au bout du compte, il s'est vendu."

Excédé par la récente décision de Vladimir Poutine de supprimer la commission des grâces (Le Monde du 26 décembre), l'ancien dissident explique : "Prenez Anatoli Pristavkine [jusqu'au 24 décembre, président de ladite commission]. Il fut un de ceux qui appelèrent à voter pour Vladimir Poutine. Je me suis toujours demandé comment cet homme, un ancien enfant abandonné [besprizornik], élevé en Tchétchénie et qui donc a vu, de ses propres yeux, la déportation des Tchétchènes [en 1944], a pu soutenir ce guébiste insignifiant. Il voulait sans doute renforcer l'autorité de sa commission. Voilà ce qu'il a reçu en retour.

"Et vous, Occidentaux imbéciles, vous regardez et vous ne comprenez pas que, dans tout cela, il y a la main du KGB. Le président est issu du KGB, il a appelé au pouvoir ses collègues."

"VOS MÉDIAS MENTENT"

"Que faites-vous ? Vous cirez les chaussures de ce minable. Bientôt vous aurez votre dû, vous aussi. Avec ce genre de personne, c'est comme ça. Que diriez-vous si, en Allemagne par exemple, un ancien membre de la Gestapo gagnait les élections et devenait chancelier ? Quelle serait la réaction internationale ? Or vos dirigeants se pressent aujourd'hui pour serrer la main de Vladimir Poutine. Sont-ils si imbéciles pour le croire lorsque celui-ci affirme que ce qui se passe en Afghanistan et en Tchétchénie relève du même phénomène ? Je ne puis penser un instant que les leaders occidentaux adhèrent. Non ! Au fond, ils savent, mais sont prêts à tout et à n'importe quoi, prêts à en tirer le moindre avantage politique.

"A l'heure qu'il est, une seule question intéresse vos médias : combien de Tchétchènes se battent aux côtés des talibans. Présentez-moi un journaliste, un seul, sur les milliers qui sont passés par l'Afghanistan, qui a rencontré un seul Tchétchène là-bas. Vous en connaissez ? Moi pas. Mais peu importe. Vos médias mentent. Vous voyez des Ben Laden partout. Pour être confortés, vous êtes prêts à croire n'importe quoi, pourvu que vous continuiez à vivre en toute tranquillité."

M. J.
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