Le froid, la faim, la peur : le troisième hiver des réfugiés ...

Tchétchénie : MSF pousse un cri de colère

6 mars 2002

La Tchétchénie, un conflit oublié ? A l'agenda des grands rendez-vous internationaux sans doute, occulté à tout le moins par les nécessités de la lutte antiterroriste conduite par les Etats-Unis.

Mais les organisations humanitaires internationales sont loin d'accepter cette nouvelle donne. Parmi elles, Médecins sans frontières n'est pas la moins active, qui alimente les gouvernements et les opinions en informations sans concession : ainsi un récent rapport (www.msf.org) décrit-il une situation de non-assistance intolérable.

MSF n'a pas davantage hésité à critiquer les conclusions du rapport fait par Lord Judd au Conseil de l'Europe, sur base desquelles l'assemblée parlementaire s'est refusée, le 23 janvier dernier, à voter des sanctions à l'encontre de la Russie.

Nicolas Cantau, chef de la mission MSF-Belgique en Russie, vient de rentrer d'Ingouchie. Et il confirme l'incompréhension de MSF devant le constat d'amélioration posé par le rapporteur britannique : Nous, nous ne voyons pas en quoi.

Comme d'autres témoins, il sait qu'un bouclage de fait s'est refermé sur la Tchétchénie : L'accès y est refusé aux journalistes, mais aussi aux humanitaires, qui constituent une importante source d'information.

L'actualité des dernières semaines fournit un exemple de la difficulté de séparer le vrai du faux. La Russie a en effet annoncé le début d'une opération qui vise à vider les camps de tentes et à rapatrier en Tchétchénie les refugiés qui les occupaient, dans des " hôtels sociaux " reconstruits à Grozny et aux environs.

Nous ne savons pas sur quelle base les gens commenceraient à bouger, s'interroge Nicolas Cantau. Les Russes disent qu'ils le font sur une base volontaire, et que tout le monde sera rentré dans les deux mois. Or, les gens de MSF ont vu, la semaine dernière à Grozny, à la faveur d'une réunion avec les Nations unies, que seules quelques familles étaient rentrées.

MSF travaille dans le nord de l'Ingouchie avec une équipe d'une vingtaine de personnes qui assurent des soins de santé " primaires " et gynécologiques, ainsi qu'une aide alimentaire. Sans les organisations humanitaires, en effet, les 180.000 réfugiés ne s'en sortiraient pas, d'autant que le ministère russe chargé des " situations d'urgence " a arrêté de leur fournir du pain et le petit pécule qu'il versait en soutenant le gouvernement ingouche autonome.

Tout indique que les conditions des réfugiés se sont dégradées, poursuit le chef de mission belge. Et les témoignages recueillis par MSF auprès des femmes restées seules dans les camps montrent que de nombreux hommes qui tentent de retourner travailler en Tchétchénie y sont persécutés : torturés, enlevés, victimes de rackets.

Nicolas Cantau résume sans mal les deux priorités que, selon lui, la communauté internationale devrait imposer à la Russie : Que les gens aient le droit de rentrer ou non en Tchétchénie sur une base volontaire. Que ceux qui restent dans les camps de réfugiés y bénéficient de conditions décentes. Des tentes qui ne percent pas - 75 à 80 % des tentes sont percées - et autre chose que des étables au milieu des vaches.

Le froid, la faim, la peur : le troisième hiver des réfugiés aura ressemblé aux deux précédents. Leur détresse morale se sera aggravée : A la fin de la première guerre, ils étaient à nouveau motivés. Aujourd'hui, ils sont occupés à survivre. D'ailleurs, les Tchétchènes ne se reconnaissent ni dans l'administration pro-russe ni dans les islamistes radicaux.

JEAN-PAUL COLLETTE
Le Soir en ligne, Bruxelles
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