Brutal sur la Tchétchénie, le président russe appelle à renforcer les échanges économiques.

Vladimir Poutine montre ses deux visages à Paris

15 janvier 2002

Le Monde 16-1-2002

Pourquoi Vladimir Poutine est-il venu pour quelques heures à Paris, mardi 15 janvier, six mois après la visite officielle de Jacques Chirac à Moscou ? Selon M. Chirac, lui-même et le président russe se téléphonent régulièrement, mais il est "plus pratique" de se voir et c'est pourquoi il lui a suggéré de venir "s'il avait l'occasion de passer à Paris". L'occasion était la visite officielle du président russe à Varsovie, qu'il a entamée par un bref crochet à Paris, et un entretien de deux heures suivi d'un "dîner de travail" à l'Elysée - sans rencontrer Lionel Jospin.

Lors d'une conférence de presse commune, Jacques Chirac a repris un thème qui lui tient à cœur : le "renforcement du partenariat entre la Russie et l'Union européenne", doublé d'une "association de la Russie aux activités de l'OTAN, sur un plan d'égalité". Plus précisément, il souhaite que la Russie et les dix-neuf membres de l'OTAN se retrouvent "dans un conseil à vingt pour examiner toutes les questions d'intérêt commun et notamment la gestion des crises" - tout en reconnaissant que cette idée n'enthousiasme pas les Etats-Unis. Dans l'immédiat, Paris et Moscou ont décidé de créer (sur suggestion russe) un "conseil de sécurité franco-russe" auquel participeront les ministres respectifs des affaires étrangères et éventuellement de la défense.

M. Poutine a, lui, surtout insisté sur le fait que les échanges économiques entre les deux pays n'étaient pas au niveau de leur dialogue politique (3,5 milliards de dollars, contre six entre la Russie et la Pologne, et vingt entre la Russie et l'Allemagne, a-t-il souligné). A Jacques Chirac qui parlait coopération aéronautique et spatiale et rappelait à son interlocuteur tout l'intérêt qu'il aurait à acheter des Airbus, M. Poutine a semblé répondre en parlant énergie - utilisant à l'occasion un néologisme explicite : "énergodialogue".

Interrogé sur quelques sujets plus sensibles, le président russe a montré à Paris deux visages - et joué sur deux tons. A propos des atteintes à la liberté de la presse - avec la liquidation récente du dernier média audiovisuel indépendant du Kremlin, TV-6, il s'est voulu charmeur. Il a appelé à comprendre une Russie "dans une situation très difficile, en pleine transition", qui doit s'atteler à "l'organisation de la société civile et de la presse indépendante sans laquelle il n'y a pas de société civile". Mais cette organisation passe par l'élimination de "criminels économiques", des "oligarques" comme Boris Berezovsky, propriétaire de TV-6, après quoi le "collectif des journalistes" de la chaîne, pour lesquels le maître du Kremlin dit éprouver le plus grand "respect" pourrait se voir attribuer une licence d'émission. En attendant, les journalites russes présents à la conférence de presse ont posé des questions si visiblement "inspirées" en haut lieu que même Jacques Chirac n'a pu s'empêcher de s'en amuser.

Mais quand il s'agit de la Tchétchénie, la voix enfle, se fait délibérément brutale, le regard glacial : les séparatistes tchétchènes sont des "criminels", des "terroristes qui ne se distinguent en rien des talibans, sinon peut-être qu'ils sont plus sanguinaires", et la solution est de les "emprisonner ou de les annihiler". Que Jacques Chirac lui rappelle en termes très modérés la nécessité "d'un dialogue politique" ne semble lui faire ni chaud ni froid. Mais quand le président français évoque de lui-même le cas du journaliste Grigori Pasko - récemment condamné à quatre ans de prison pour espionnage, pour avoir dénoncé les pollutions nucléaires commises par la flotte russe - M. Poutine change de ton et laisse entendre de manière transparente que l'intéressé sera gracié.

Jan Krauze