"La légitimité des actions militaires contre les terroristes ne peut être utilisée par aucun Etat, y compris la Fédération de Russie, pour justifier les manquements au respect des droits de l'homme"

A Strasbourg, la Russie échappe à des sanctions pour ses actions en Tchétchénie

24 janvier 2002

Le Monde
MOSCOU de notre correspondante

"Depuis un an, nos diplomates ont bien appris à maîtriser le dossier du Conseil de l'Europe. Ils ont appris à employer, formellement, un langage plus présentable. Avant, ils criaient : "Les Tchétchènes sont des bandits !"; maintenant, ils reconnaissent que "oui, il y a des problèmes sur le terrain, mais nous faisons en sorte que des choses s'améliorent"." C'est ainsi que le défenseur russe des droits de l'homme et ancien dissident Sergueï Kovalev, présent à Strasbourg, a expliqué avec amertume, mercredi soir 23 janvier, sur une chaîne de télévision russe, le fait que la Russie ait échappé ce jour-là, lors d'un débat à l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe consacré aux événements en Tchétchénie, à toute évocation de sanctions.

En avril 2000, le Conseil de l'Europe avait suspendu les droits de vote de la délégation russe (ceux-ci ont été rétablis en janvier 2001) en raison des exactions perpétrées par les troupes russes en Tchétchénie. Cette sanction est la seule, à ce jour, d'une institution internationale visant la Russie sur ce dossier.

Par 63 voix contre 8, l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe a adopté, mercredi, une résolution appelant à une solution politique en Tchétchénie, estimant que, sur la question du respect des droits de l'homme, "même s'ils sont d'une lenteur frustrante, quelques progrès ont été réalisés". Le texte évoque des "changements positifs d'attitude désormais observables, dans la Fédération de Russie, dans la manière d'envisager le conflit". Ces affirmations vont à l'encontre de tous les constats faits, ces derniers mois, par les organisations de défense des droits de l'homme, qui parlent, au contraire, d'une "détérioration" sur le terrain, avec un nombre accru de disparitions de civils et de "nettoyages" meurtriers de villages par les forces russes.

"La légitimité des actions militaires contre les terroristes ne peut être utilisée par aucun Etat, y compris la Fédération de Russie, pour justifier les manquements au respect des droits de l'homme", dit la résolution. Mais cette critique a été aussitôt atténuée par les propos tenus par l'un des rapporteurs, Lord Judd, selon lequel "de nouvelles sanctions à l'encontre de la Russie seraient un constat de notre incapacité à exercer une persuasion efficace par la coopération et le dialogue".

Lord Judd a aussi estimé que Moscou semblait "disposé à engager des discussions rationnelles" en vue d'un règlement politique en Tchétchénie, ce qui était une référence à la rencontre survenue en novembre 2001 entre des émissaires des présidents russe et tchétchène. Or ce processus apparaît dans l'impasse. L'émissaire tchétchène, Ahmed Zakaev, présent à Strasbourg mercredi, a déclaré cette semaine qu'aucun des points présentés par la partie tchétchène n'avait reçu de réponse : "Reconnaissance du statut légal du président tchétchène, Aslan Maskhadov, création d'une commission mixte pour l'arrêt des opérations militaires et arrêt immédiat des soi-disants "nettoyages"."

Mercredi, à Strasbourg, le chef de la délégation russe, Dimitri Rogozine, a rejeté toute idée de processus de paix avec les dirigeants tchétchènes indépendantistes, affirmant que cela revenait "à négocier avec le terroriste numéro un, Ben Laden".

Natalie Nougayrède