Ahmed Zakaev : " L'Europe doit intervenir. "

La population civile continue d'être la principale victime de la guerre en Tchétchénie

28 mars 2002

Venu à Paris avec de nombreuses personnalités tchétchènes et russes dans le cadre d'un colloque à l'initiative du théâtre de la Colline, le négociateur du président tchétchène Maskhadov tente désespérément de secouer l'indifférence de la communauté internationale.

Agé de quarante-deux ans, ministre de la Culture tchétchène, l'acteur Ahmed Zakaev est le négociateur devant le représentant du président russe Poutine du gouvernement du président tchétchène indépendantiste Aslan Maskhadov, élu démocratiquement en 1997 sous les auspices de l'OSCE.

Vous êtes le négociateur du président tchétchène Aslan Maskhadov. En quoi a consisté jusqu'à présent votre travail de négociateur ?

Ahmed Zakaev : Le terme "négociateur" est un peu exagéré car il n'y a pas vraiment eu de négociations. Il y a juste eu une rencontre avec le représentant de Vladimir Poutine, Viktor Kazantsev. Cette rencontre a eu lieu après les déclarations de Poutine du 24 septembre 2001. Il avait demandé aux Tchétchènes d'envoyer un représentant pour commencer un processus de négociations. On était convaincu dès le départ que cette déclaration n'était que de la propagande en direction de l'Occident. Depuis le début de la guerre, Aslan Maskhadov a dit qu'il était partisan d'un dialogue politique. Il considérait qu'il était de sa responsabilité de répondre favorablement à la demande des Russes. Il m'a donc nommé pour rencontrer Kazantsev. Il n'y a eu qu'une seule rencontre. Elle a eu lieu le 18 novembre 2001 à l'aéroport de Moscou avec l'aide de la Turquie. Nous avons pu constater qu'il s'agissait de propagande car les Russes n'ont fait aucune proposition.

De quoi avez-vous parlé alors ?

Nous, nous avons fait des propositions dont nous pensions qu'elles pouvaient favoriser un processus de paix. Nous avons demandé la création d'une commission ou d'un groupe de travail comprenant les deux parties pour mettre fin le plus rapidement possible aux opérations en Tchétchénie. Nous avions demandé aussi la fin immédiate des ratissages contre la population civile, qui ne font rien d'autre que de décrédibiliser la Russie et contribuer à l'éloignement des Russes et des Tchétchènes. Enfin, nous voulions qu'une troisième partie soit intégrée au processus de paix, soit en tant que médiateur, soit en tant qu'observateur. Nous proposions que cela soit la Russie qui choisisse le statut de cette troisième partie. Nous étions prêts à aborder tous les problèmes avec la Russie. Nos propositions ont été acceptées mais elles sont restées lettre morte. En revanche, les actions punitives et les ratissages se sont multipliés. Il n'y a jamais eu autant de victimes qu'en ce moment. Il aurait été contraire à la politique et à la morale de poursuivre les contacts dans ces conditions, et depuis nous n'avons plus de contacts avec les Russes. Mais nous avons la possibilité de renouveler ces contacts à tout moment. C'est à la Russie de faire un geste.

Depuis le 11 septembre, on a beaucoup décrit la Tchétchénie comme un sanctuaire de terroristes liés à al Qaeda. Qu'en est-il vraiment ?

Il n'est un secret pour personne que nous avons des contacts avec les Américains dans le contexte de la guerre contre le terrorisme. Nous avons toujours dit que nous étions prêts à collaborer avec eux et que s'ils pouvaient fournir des preuves attestant la présence de membres d'al Qaeda dans la résistance tchétchène, ou des complices des attentats du 11 septembre, nous serions prêts à les arrêter. Mais les Américains ne nous ont jamais fourni ces preuves.

Leurs informations proviennent du FSB (ex-KGB), qui affirme que nous sommes des terroristes. Notre ministre des Affaires étrangères vient de rencontrer des membres du Département d'Etat américain sans que ces derniers puissent cependant nous fournir davantage de preuves. Nous n'excluons pas nous-même la possibilité qu'il y ait des individus dans la résistance tchétchène qui aient eu à un moment ou à un autre des contacts avec al Qaeda. C'est la raison pour laquelle nous répétons que nous sommes prêts à coopérer dans la lutte contre le terrorisme international. Nous savons plus que quiconque ce qu'est le terrorisme puisque que nous sommes depuis fort longtemps victimes du terrorisme d'Etat de la Russie. Nous n'en usons pas et le condamnons sous toutes ses formes.

Admettez-vous toutefois qu'il existe en Tchétchénie des groupes armés qui échappent au contrôle du président tchétchène Maskhadov ?

Non. C'est la propagande russe qui affirme cela. Et elle n'a jamais pu fournir de preuves en ce sens. De toute manière, il n'y a jamais eu un seul jour de cessez-le-feu. On voit mal comment on aurait pu dès lors vérifier qui était sous le contrôle de qui. Ce que je peux vous dire c'est que toutes les unités de la résistance tchétchène poursuivent le but qui est déterminé par le commandement en chef, à savoir s'opposer aux forces russes.

Espérez-vous encore quelque chose de la communauté internationale depuis le 11 septembre ?

Je suis absolument convaincu que sans intervention de la communauté internationale, la guerre en Tchétchénie continuera. Je considère que l'Europe doit intervenir quel que soit le statut de la Tchétchénie parce qu'elle est et a toujours été une partie de l'Europe. La communauté européenne a une part de responsabilité dans ce qui se passe. Nous nous adressons à la communauté internationale pour lui dire que pour l'instant nous n'avons pas d'autre solution que de résister avec les armes. Mais nous voudrions trouver d'autres moyens qui puissent garantir la sécurité de notre peuple. L'Europe doit comprendre ce qui se passe en Tchétchénie.

Entretien réalisé par Damien Roustel