Tortures, pillages, viols: nouveaux rapports accablants sur les exactions russes

Tchétchénie, un an de crimes impunis
31 octobre 2000

Si la Tchétchénie n'est pas une question "centrale", selon le terme employé par le ministre français des Affaires étrangères, elle reste, à Moscou, au centre des préoccupations des organismes des droits de l'homme. Lesquels viennent de publier, simultanément, des rapports truffés de témoignages et des récits de missions, tous accablants. Autant de voix concordantes pour montrer, preuves à l'appui, que la guerre en Tchétchénie n'en finit pas de ne pas finir, que les exactions, les tirs, les pillages, les rackets, les interrogatoires et les tortures dans les "camps de filtration" (où l'on interroge les "suspects") et dans des fosses continuent, que des femmes et des hommes se font violer, que la population tout entière se fait racketter (pour un passage au "blok-poste", le rachat d'un homme emprisonné ou du corps d'un fusillé), que la situation dans les camps de réfugiés ne fait que se dégrader et n'est aucunement accompagnée d'un retour au pays, preuve que la situation est loin d'être stabilisée, que les différentes administrations prorusses mises en place ne fonctionnent pas ou mal, que la justice militaire russe embrouille tout et ne condamne rien, que le pot-de-vin a force de loi, que le représentant du président russe pour les droits de l'homme en Tchétchénie ne fait rien, qu'on (le secrétaire général du Conseil de l'Europe) a répertorié quelque 18000 disparus dans la petite République caucasienne, bref, que c'est là un pays de la non-normalité, contrairement à ce que le président russe affirme à longueur d'interviews.

Bilan détaillé.
Suite à différentes missions en Tchétchénie et dans les camps de réfugiés d'Ingouchie, effectuées entre juin et septembre par des membres de l'association russe Mémorial et des représentants de la FIDH (Fédération internationale des droits de l'homme), ces deux organismes viennent de publier un rapport-bilan détaillé en 80 pages: "Tchétchénie: crimes contre l'humanité. Un an de crimes impunis". Y sont joints les propos de soldats à leur retour de Tchétchénie, rapportés par l'organisation des mères de soldats de Saint-Pétersbourg. Décrivant la pitoyable situation du bidasse russe envoyé en Tchétchénie et confirmant les tortures, viols, pillages et autres exécutions sommaires. "Force est de constater que la Russie n'a rempli aucune des exigences posées par la communauté internationale depuis le début du conflit, il y a plus d'un an", conclut le rapport.

Témoignages.
"En arrivant à Tchernokozovo, on nous a souhaité la bienvenue en enfer, et ce fut vraiment l'enfer." L'homme qui s'exprime ainsi est un ancien détenu tchétchène du camp de filtration de Tchernokozovo, interrogé par Human Rights Watch. L'organisation américaine de défense des droits de l'homme, qui mène depuis le début du conflit, en septembre 1999, un travail remarquable de collecte de témoignages, publie un nouveau rapport, centré, lui, sur les détentions arbitraires. Intitulé "Bienvenue en enfer", le rapport décrit les mauvais traitements et tortures subis par ces hommes, détenus sans charge, entre janvier et mai 2000.

Tortures.
Les arrestations arbitraires ont débuté avec les contrôles instaurés aux blok-postes dès la reprise des hostilités. Elles sont devenues massives en janvier, lorsque les autorités militaires russes ont interdit aux hommes de 10 à 60 ans de franchir les frontières. Tchernokozovo, situé à 60 km de Grozny, est devenu la destination principale des détenus. A leur arrivée, ils devaient franchir en courant, mains sur la tête, une double haie de gardes munis de matraques. Puis venaient les interrogatoires musclés, ponctués de coups et même de séances d'électrochocs, voire pour certains de sodomie à la matraque, suivis d'épuisantes stations debout et de nuits sans sommeil sous les injures de leurs geôliers.

En raison de l'émoi suscité en Occident, le régime de détention s'est adouci et le camp a été progressivement démantelé, mais aucun auteur d'abus n'a été puni. Les "recettes" de Tchernokozovo ont continué à être appliquées dans six autres camps, prisons et bases militaires en Russie et en Tchétchénie. Les arrestations arbitraires se sont poursuivies lors d'opérations de vérification ou de "ratissages". La majorité des détenus ont rapporté avoir été libérés après avoir versé des sommes allant de 500 francs à 35000 francs.

Par J.-P. T.