Onze militaires seulement ont été reconnus coupables de crimes contre des civils alors que plus de mille plaintes ont été adressées aux autorités.

Deux ans de bruit et de fureur, de crimes sans châtiment

1 octobre 2001

MOSCOU, 1er oct (AFP) - Tortures, exactions et arrestations arbitraires sont toujours monnaie courante en Tchétchénie deux ans après l'entrée des forces russes, selon les défenseurs des droits de l'Homme qui redoutent une dégradation de la situation après les attentats aux Etats-Unis.

Le bilan de deux ans de guerre est difficile à établir. L'organisation russe de défense des droits de l'Homme Mémorial a fait état de plus 400 enfants tués et 2.000 autres devenus orphelins, ce qui donne une idée de l'ampleur du carnage dans la population civile. Et cela sans compter les pertes du côté des militaires russes qui se chiffrent officiellement à plus de 3.000 tués, un nombre au moins deux fois inférieur à la réalité, selon le Comité des mères de soldats.

Chômage, pauvreté et violence dans des villes ou des villages en ruine constituent le quotidien des Tchétchènes qui ont choisi de rester à leur risques et périls dans la république. Ils peuvent à tout moment être victimes des "ratissages" entrepris par les Russes ou de la "guerre des mines" menée par les rebelles.

L'administration russe est souvent le seul débouché offert aux Tchétchènes. Mais les collaborateurs pro-russes sont considérés comme des traîtres par les rebelles qui en ont assassiné plusieurs dizaines.

Quant aux Tchétchènes qui ont fui la guerre en Géorgie ou dans les territoires russes limitrophes, "leur situation est d'autant plus difficile qu'ils n'ont aucun espoir d'un arrêt prochain des hostilités", affirme Jean Tissot, responsable du Conseil danois pour les réfugiés en Ingouchie.

Cette république russe voisine de la Tchétchénie accueille actuellement quelque 140.000 réfugiés dont certains se préparent à passer un troisième hiver dans des camps de toile.

Les conditions ne sont guère meilleures pour les Tchétchènes qui ont choisi de s'installer à Moscou où, coupables de "délit de faciès", ils sont régulièrement soumis à des contrôles d'identité par les policiers.

"Depuis les attentats aux Etats-Unis, les Tchétchènes craignent surtout que les Occidentaux ne cessent leurs pressions sur les Russes", affirme Eliza Moussaïeva, une collaboratrice de Mémorial.

La semaine dernière, le dossier tchétchène a été relégué à la toute fin de l'ordre du jour de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe qui, selon le représentant du Kremlin pour les droits de l'Homme Vladimir Kalamanov, a adopté une "position plus mesurée à l'égard de la Tchétchénie".

"Si les Américains lancent une opération antiterroriste contre l'Afghanistan, la Russie pourrait profiter que tous les regards soient tournés ailleurs pour porter le coup final aux combattants en ne s'inquiétant pas du sort des civils ", ajoute-t-elle.

"La population tchétchène est victime à la fois de la propagande russe et islamiste tchétchène. L'absence d'informations et de journalistes indépendants sur le terrain, permet tous les abus dans les deux camps", conclut Mme Moussaïeva.

L'avocat tchétchène Abdoulah Khamzaev, qui réclame des dommages-intérêts au ministère de la Défense après que sa maison eut été bombardée, ne "voit pas comment la situation pourrait encore se détériorer".

"Le nombre d'enquêtes criminelles est dérisoire en comparaison avec le nombre de crimes commis. Les Tchétchènes ne peuvent compter sur rien ni personne, et surtout pas sur le système judiciaire russe", ajoute Me Khamzaev, qui est notamment l'avocat de la famille d'une Tchétchène de 18 ans, étranglée par un officier russe.

Onze militaires seulement ont été reconnus coupables de crimes ou délits contre des civils alors que plus de mille plaintes ont été adressées aux autorités, selon des chiffres officiels.