Rapport de position de la FIDH
sur la Tchétchénie

à l'occasion de la 58ème Commission des droits de l'Homme
18 mars - 26 avril 2002

"Nous devons démontrer la même fermeté à punir les auteurs d'un crime commis à l'encontre de civils innocents, qu'il soit perpétré à Washington, Srebrenica ou Alkhan Yurt" - Lord Russell-Johnston, Président de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe (24 septembre 2001).

Quotidiennement soumise à des actes de violence indiscriminés perpétrés par les forces armées et le FSB, notamment lors d'opérations de ratissage, et de plus en plus par des groupes armés circulant dans des voitures banalisées, la population civile tchétchène demeure la principale victime de la guerre lancée par les forces russes depuis deux ans et demi sur le territoire de cette République.

Depuis les événements du 11 septembre, sous couvert d'opérations spéciales de neutralisation des terroristes internationaux, les opérations de représailles se sont intensifiées sur l'ensemble du territoire tchétchène et les violations consécutives du droit international humanitaire ont été nombreuses.

Comme l'a souligné à plusieurs reprises Mémorial, la systématisation du racket et des demandes de rançons par les forces militaires pour la libération de civils est devenue l'une des caractéristiques majeures de la poursuite de ce conflit et le signe du caractère de plus en plus incontrôlable de ces forces. En outre, les assassinats ciblés sont le plus souvent commis par des personnes masquées dont les actes s'apparentent à ceux "d'escadrons de la mort". Plusieurs instances internationales (ONU, Union européenne, Conseil de l'Europe, OSCE) ont reconnu l'existence de ces violations.

Soumis à l'autorisation de l'administration tchétchène désignée par les autorités russes et à la bonne volonté des pouvoirs militaires, l'accès des ONG au territoire tchétchène demeure par ailleurs difficile. Non seulement les forces russes ne protègent pas efficacement les ONG mais elles mettent en danger la vie de leurs collaborateurs ou du personnel médical. Ces violations graves et répétées du droit international humanitaire constituent des crimes de guerre ainsi que des crimes contre l'humanité. Elles sont perpétrées en Tchétchénie dans l'impunité la plus totale. La disproportion entre les violations perpétrées par les forces russes et les poursuites engagées contre leurs auteurs est en effet flagrante. Début octobre 2001, la procurature militaire avait mené 95 enquêtes pour crimes commis contre la population tchétchène. 37 affaires ont été transmises à la justice militaire parmi lesquelles 11 ont été examinées par les tribunaux militaires. 8 militaires ont finalement été condamnés à des peines de prison. De nombreuses instances internationales, et notamment le Comité européen pour la prévention de la torture en juillet 2001, ont dénoncé le manque de collaboration des autorités russes.

Ces autorités utilisent, en revanche, les événements dramatiques du 11 septembre pour justifier la poursuite de leur politique en Tchétchénie. En aucun cas, la lutte contre le terrorisme ne peut servir de prétexte à la perpétration de telles violations. Les tentatives actuelles du Président Poutine de ralliement de la communauté internationale à sa politique doivent être repoussées avec la plus grande fermeté.

La seule solution au conflit en Tchétchénie réside dans la conduite de réelles négociations politiques. Si la FIDH se félicite de l'amorce de négociations début novembre, force est de constater qu'elles n'ont pas abouti. En décembre 2001 et janvier 2002 les opérations militaires ont en effet repris dans de très nombreux villages.

La Commission ne pourra ignorer le fait que la résolution E/CN.4/2001/24 est restée lettre morte. La demande faite par la Commission et la Haut Commissaire aux droits de l'Homme de mettre en place une commission d'enquête indépendante et impartiale sur l'usage indiscriminé et disproportionné de la force par les autorités russes ainsi que sur les activités terroristes n'est restée qu'un voeu pieu. Aucune collaboration avec les mécanismes des Nations Unies n'a pu être constatée. Enfin, aucune organisation internationale de droits de l'Homme n'a pu enquêter sur les violations. Les autorités russes se jouent des procédures internationales universellement reconnues, sans être inquiétées.

En conséquence, la FIDH demande à la Commission des droits de l'Homme d'adopter une résolution ferme et cohérente avec celle adoptée lors de sa 57 ème session,

- Condamnant fermement la poursuite des violations des droits de l'Homme perpétrées à l'encontre de la population civile par les forces russes et le système d'impunité dont bénéficient les auteurs et responsables de ces crimes, lesquels constituent des crimes de guerre et crimes contre l'Humanité.

- Priant les autorités russes de faire cesser toutes formes de violence y compris les attaques et meurtres à l'encontre de la population civile et de ne mener aucun acte de représailles à leur encontre.

- Rappelant que la lutte contre le terrorisme ne peut en aucun cas légitimer la perpétration de crimes graves contre la population civile.

- Priant les autorités russes d'entamer de réelles négociations politiques avec les représentants du Président Maskhadov, afin que soit trouvée une issue politique et pacifique au conflit en Tchétchénie.

- Priant les combattants tchétchènes de protéger en toutes circonstances les civils, de ne pas se livrer à des représailles et de garantir l'intégrité physique et psychologique des prisonniers de guerre.

- Priant les deux parties au conflit de se conformer aux dispositions de la Convention sur l'interdiction de l'emploi, du stockage, de la production et du transfert des mines anti-personnelles et sur leur destruction.

- Demandant la poursuite des auteurs des crimes de guerre et de crimes contre l'humanité devant des tribunaux impartiaux et indépendants, conformément aux normes internationales applicables en la matière, en s'assurant que des châtiments corporels et la peine de mort ne puissent en aucun cas leur être appliqués.

- Condamnant le fait que la Russie n'a rempli encore aucune des exigences en matière de droits de l'Homme, posées depuis deux ans par la communauté internationale, notamment les deux dernières résolutions de la Commission des droits de l'Homme.

- Demandant l'envoi sur place et le soutien total par les autorités concernées d'une mission d'enquête internationale composée notamment de Rapporteurs spéciaux et Groupes de travail compétents de la Commission recensant les cas de violations des droits de l'Homme en Tchétchénie et en fasse rapport à l'Assemblée générale.

http://www.fidh.org/
http://www.fidh.org/intgouv/onu/com58/positionfr.pdf