LE MONDE, Editorial le 26-01-2001
Jour de Honte
C'EST un jour de honte pour les démocrates européens. Une date à marquer d'une croix noire, parce que, ce jour-là, jeudi 25 janvier, une des assemblées chargée de défendre la cause des droits de l'homme sur le continent s'est déshonorée. Il s'agit de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe. Elle siège à Strasbourg. Elle regroupe des élus d'une quarantaine de pays européens. Cédant lâchement aux pressions de Moscou, elle a, ce triste jeudi, décidé de revenir sur l'unique sanction prise en avril 2000 à l'encontre de la Russie pour lui signifier le caractère inadmissible de la sale guerre qu'elle poursuit en Tchétchénie. Les élus russes à l'Assemblée ont été rétablis dans leur plein et entier droit de vote. Sans condition. Comme si les raisons invoquées lorsque cette sanction fut décidée n'existaient plus. Comme si on avait enregistré quelques progrès sur cette terre de mort et de misère qu'est devenue la malheureuse petite République du Caucase.
Ce fut fait de façon révoltante. Le vote
de l'Assemblée a été prononcé contre l'avis des
organisations humanitaires les plus sérieuses et les plus compétentes
sur la Tchétchénie : Memorial (une ONG russe), la Fédération
internationale des ligues des droits de l'homme, Human Rights Watch, le Comité
Tchétchénie. Les députés de l'Assemblée n'ont
pas eu la dignité de prendre le temps d'écouter l'un des élus
russes les plus courageux, Sergueï Kovaliev, présent à Strasbourg
et qui, dans la soirée, dira son écurement devant la lâcheté
d'une Europe trop cynique et blasée pour être fidèle à
ses idéaux proclamés. Car pas un observateur indépendant
n'a bien sûr constaté la moindre amélioration en Tchétchénie
depuis que les troupes russes y mènent leur deuxième campagne.
Au contraire. Les forces russes s'y conduisent en bandes criminelles paraissant
échapper à tout contrôle de Moscou : vols répétés,
pillages organisés, viols, meurtres. L'appareil d'occupation russe a
institué la torture à grande échelle et les bombardements
aveugles sur les populations civiles comme mode de terreur.
Les récents reportages de journaux européens
et américains auraient pu éclairer l'Assemblée de Strasbourg.
Il n'y en a pas tellement d'autres depuis que le président Vladimir Poutine
a entrepris de mettre au pas la presse russe. Journaux et télévisions
du pays qui ont encore le courage d'un travail indépendant sont victimes
d'une campagne d'intimidation : tabassages des reporters par des policiers déguisés
en loubards ; pressions économiques ; poursuites judiciaires, etc.
On peut avoir un débat sur l'opportunité
des sanctions économiques. Mais il ne s'agissait à Strasbourg
que de maintenir une sanction politique, de l'ordre du symbolique - et les symboles
comptent ! -, une mesure destinée à préserver le sens des
mots " démocratie " et " droits de l'homme ". Que
l'Assemblée du Conseil se déconsidère est de peu d'importance.
Mais il ne faut pas la laisser tromper l'opinion.
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