Les musulmans russes craignent une "islamophobie" après le onze septembre


MOSCOU, 21 sept (AFP) - Les musulmans russes craignent une nouvelle vague d'"islamophobie" dans leur pays, dont près de 20 millions des 145 millions d'habitants sont musulmans, et accusent les médias de confondre islam et terrorisme après les attentats aux Etats-Unis, comme au plus fort de la guerre en Tchétchénie

"Une islamophobie est en train de se développer dans les médias russes", a affirmé une semaine après les attentats le mufti Nafigoulla Achirov, chef de la direction spirituelle des musulmans des régions asiatiques de Russie.

"A partir des premières minutes de la tragédie, une campagne anti-islamique sans précédent a été lancée en Russie", a déclaré de son côté le député musulman Abdoul-Vakhed Niazov, accusant les médias russes de donner une large place aux propos des responsables israéliens hostiles à l'islam.

"Tout de suite après ces attentats, la police et les services secrets russes ont rendu visite à la majorité des organisations islamiques basées à Moscou", a assuré le mufti Achirov.

Les musulmans russes sont observés de près par les forces de l'ordre depuis les attentats de Moscou qui ont fait près de 300 morts en septembre 1999 et ont servi de prétexte pour lancer une nouvelle offensive contre la Tchétchénie, le 1er octobre de la même année.

Depuis, dans la capitale russe, les personnes ayant une apparence non slave sont constamment soumises aux vérifications d'identité.

"Nous avons déjà vu il y a deux ans comment la police mettait par terre les Caucasiens sur les marchés russes et nous n'en avons plus peur", a affirmé le mufti, ajoutant : "nous craignons que cela n'empire, que des poursuites massives (contre les musulmans) ne commencent".

"Les policiers pensent que si les taliban ont attaqué l'Amérique, les Tchétchènes vont bientôt attaquer Moscou", confie un étudiant tchétchène de 22 ans, Souleïman Askhabov, rencontré près de la mosquée centrale de la capitale russe où il est venu faire ses prières quotidiennes.

"J'ai été interpellé il y a quelques jours dans la rue. Les policiers m'ont humilié seulement parce que j'étais tchétchène. J'ai été obligé de leur payer 500 roubles pour qu'ils me laissent partir", assure-t-il.

"Il y a des musulmans et il y a des terroristes. Ce sont deux choses différentes, mais les médias les confondent de plus en plus souvent ces derniers jours", regrette Iouri, un autre musulman âgé de 33 ans.

"Cette hystérie à la télévision et dans les journaux commence déjà à avoir un impact sur la société. Je sens beaucoup plus d'hostilité autour de moi, particulièrement dans les institutions d'Etat", estime de son côté Oumar, un instituteur de 35 ans.

"Même après les attentats à Moscou il n'y avait pas une telle hystérie anti-islamique", remarque de son côté Ali Polossine, conseiller du Conseil des muftis de la Russie.

Des défenseurs russes des droits de l'Homme ont mis en garde lundi dernier contre un "amalgame entre des notions aussi différentes que le terrorisme international, l'islam fondamentaliste, les taliban en Afghanistan, les régimes dictatoriaux d'Irak et de Libye, la guerre en Tchétchénie, le conflit israélo-arabe et celui des Balkans".

La Russie qui affirme être intervenue militairement en Tchétchénie au nom de la lutte contre le terrorisme international a vu dans les attentats à New York et Washington une justification de sa politique dans la république rebelle.

"Nous sommes particulièrement inquiets de la tentation d'utiliser" les événements aux Etats-Unis "pour justifier une solution de force en Tchétchénie", ont écrit l'ex-dissident Sergueï Kovalev et Elena Bonner, veuve du prix Nobel de la paix Andreï Sakharov, dans une lettre ouverte.

"Accuser le monde islamique de terrorisme n'est pas une bonne approche", a récemment affirmé le chef du Parti communiste Guennadi Ziouganov, ajoutant qu'"il ne fallait pas oublier" que la Russie compte plusieurs millions de musulmans.