La hausse de la criminalité et de la violence en Russie depuis dix ans influent sur l'état de l'armée.
140 000 plaintes de soldats russes contre leurs supérieurs en 2001
8
février 2002
Le Monde avec AFP
Selon un responsable du parquet militaire russe, "les tribunaux militaires ont reçu quelque 140 000 plaintes de soldats qui estiment que leurs supérieurs ont violé leurs droits d'une manière ou d'une autre" en 2001. Interviewé par l'agence Interfax sous le couvert de l'anonymat, l'officier a estimé que "le non-respect des droits des militaires engagés dans des opérations dans des conditions extrêmes, y compris ceux engagés dans l'opération antiterroriste en Tchétchénie, est particulièrement alarmant".
Les organisations de défense des droits de l'homme, notamment le Comité des mères de soldats, dénoncent depuis des années les sévices et les vexations dont sont en particulier victimes les jeunes appelés de la part de leurs aînés et de leurs supérieurs dans les unités de l'armée russe. Viols, tabassage, malnutrition, meurtre déguisé en suicide sont autant de combats pour ces mères souvent endeuillées, qui se mobilisent depuis 1989. Selon les ONG, ces pratiques sont à l'origine de nombreuses désertions, de suicides et de cas de rébellion.
L'agence russe militaire d'informations (AVN) avait rapporté qu'en 2000, plus de 270 soldats russes s'étaient donné la mort et que plusieurs dizaines d'autres avaient tenté de mettre fin à leur vie. Les désertions et les règlements de comptes sont monnaie courante dans l'armée russe. Le bas niveau des soldes, la réforme des forces armées, et l'avenir incertain des retraites ont été avancés comme les facteurs à l'origine de ces suicides. Quant au passage à une armée de métier, initialement annoncé par l'ancien président Boris Eltsine pour l'an 2000, il a été maintenu, mais reporté, de même que la réforme militaire, à l'horizon 2010 par Vladimir Poutine.
La sanglante cavale de deux appelés déserteurs d'une vingtaine d'années qui a fait onze morts au Tatarstan (Russie centrale), dans la nuit du 3 au 4 février, illustre le malaise d'une armée et la violence latente qui s'est installée dans la société russe. Emportant avec eux deux fusils-mitrailleurs kalachnikovs et neuf chargeurs de munitions, les deux jeunes gens ont semé la terreur sur leur passage, tuant, selon les sources, neuf ou dix personnes, dont cinq policiers qui tentaient de les arrêter. La semaine précédente, deux appelés servant dans les gardes-frontières de Tchoukotka (extrême nord-est) avaient déserté après avoir abattu au fusil-mitrailleur le commandement de leur unité, soit trois officiers et un sergent.
La présidente du Comité des mères de soldats, Valentina Melnikova, a vu dans ce carnage "la responsabilité d'un Etat qui amène de force des jeunes gens dans des garnisons, puis les rend fous au point qu'ils commettent ce genre de choses et après les fait abattre par des policiers". Le Comité des mères de soldats milite pour l'apparition d'un service alternatif, mais a récemment dénoncé l'opposition à ce projet du ministère de la défense, qui tente d'imposer au gouvernement un texte extrêmement restrictif.
A l'origine du carnage au Tatarstan, les militaires eux-mêmes n'ont pas exclu l'hypothèse d'"irrégularités" au sein de la 31e division de parachutistes, théoriquement une unité d'élite qui a notamment participé à la guerre en Tchétchénie. Selon l'armée, les deux déserteurs n'avaient pas pris part aux combats dans ce conflit. Le commandant en chef des forces aéroportées, le général Gueorgui Chpak, a formé une commission d'enquête qui a entrepris d'étudier le "climat moral et psychologique" dans l'unité d'Oulianovsk.
Les enquêteurs ont également établi que l'un des déserteurs, le sergent Chagueev, avait été condamné par la justice à deux reprises, en particulier pour vol. Son incorporation dans une unité d'élite est à ce titre "inexplicable", a estimé un responsable policier sur la chaîne ORT. Lors de la dernière conscription, de hauts responsables militaires s'étaient plaints qu'outre des défaillances physiques, psychiques et du problème croissant de la drogue, les recrues ne constituaient souvent pas "la crème de la nation". Selon eux, la hausse de la criminalité et de la violence en Russie depuis dix ans, où environ un million de personnes peuplent le système pénitentiaire et où près de 30 000 meurtres sont commis chaque année, influent notamment sur l'état de l'armée.
Avec AFP