Malgré les pressions croissantes ...

Les réfugiés refusent toujours de rentrer en Tchétchénie
7 May 2001

KARABOULAK (Russie), 7 mai (AFP) - L'aide se réduit, les nouveaux arrivants ne sont plus enregistrés, la tuberculose sévit, Moscou exerce des pressions mais pour les Tchétchènes réfugiés en Ingouchie, pas question de retourner chez eux alors que la guerre continue.

Au camp de Karaboulak, où vivent plus de 5.000 personnes près de la frontière avec la Tchétchénie, les réfugiés se bousculent autour d'un camion pour obtenir leur ration mensuelle de deux boîtes de lait concentré et deux de corned-beef.

Il y a quelques jours, ils ont reçu 900 grammes de vermicelle et 800 grammes de sarrasin par personne mais il n'y a plus d'huile, de sucre ou de sel.

Rouslan Djabraïlov, le numéro deux du camp, n'aime pas les distributions. "Les gens crient. Une fois j'ai perdu connaissance. Ici je suis devenu cardiaque", affirme-t-il. Visiblement las, il sait que la situation ne va pas s'améliorer.

Depuis le 1er mai et sur ordre de Moscou, les ONG n'ont plus le droit de distribuer de l'aide dans les camps, qui accueillent 30.000 réfugiés. Au total, l'Ingouchie (350.000 habitants) accueille quelque 170.000 réfugiés, dont 150.000 enregistrés officiellement, selon les Ingouches.

Le chiffre de 150.000 est le dernier disponible car depuis le 1er avril, les nouveaux arrivants ne sont plus enregistrés.

Les ONG ont été priées d'aider les réfugiés qui vivent dans des familles d'accueil ou des bâtiments désaffectés tandis que les autorités russes ou ingouches doivent prendre le relais dans les camps. "Nous craignons que les réfugiés des camps reçoivent moins de calories qu'avant", confie Jean Tissot du Danish Refugee Council.

"Les Ingouches sont sous la pression des Russes pour que les réfugiés rentrent. Ces pressions pourraient se transformer en rapatriement forcé", prévient-il.

Au camp de Karaboulak, les autorités russes ont fait grand cas du retour en Tchétchénie de deux groupes de plusieurs dizaines de réfugiés en avril. "Des gens de Kadyrov - l'administrateur pro-russe de Tchétchénie - sont venus ici. On a promis aux réfugiés du travail, un bon pour une chambre, le paradis sur terre", raconte Rouslan Djabraïlov.

La rumeur veut que plusieurs de ces familles effrayées par l'insécurité qui règne en Tchétchénie soient déjà revenues en Ingouchie. Mais pas question de réintégrer Karaboulak où elles ont été rayées des listes.

Dans ce camp de 300 tentes qui a accueilli les premiers réfugiés au début de l'offensive russe il y a 19 mois, il n'y a plus de distribution de repas chauds en raison des retards de paiement de Moscou, la salle de sports n'existe que sur le papier et la drogue a fait son apparition.

Les rares toilettes sont dans un état déplorable, les enfants jouent dans les flaques et la plupart des femmes portent des chaussures en caoutchouc en raison du sol fangeux.

Pourtant aucun réfugié ne souhaite retourner en Tchétchénie malgré l'ennui et la promiscuité car la peur est trop forte.

"La guerre n'est pas finie. A Grozny, les gens meurent pour une appendicite car après 18H00 plus personne n'ose se déplacer. Il n'y a que les Fédéraux russes qui ont des droits, dont celui de nous liquider", raconte Amina, une institutrice.

"Je suis retournée à Grozny pour voir mes parents. La nuit on ne s'approche pas des fenêtres, on a peur de son ombre. Pour les jeunes femmes c'est aussi dangereux que pour les hommes. il y a beaucoup de Boudanov" en Tchétchénie, ajoute Madina.

La famille d'Elza Koungaïeva, enlevée sous les yeux de ses frères et soeurs puis étranglée par le colonel russe Iouri Boudanov, actuellement jugé, est réfugiée à Karaboulak.

"Nos enfants ont été traumatisés. Ils sont renfermés et ont du mal à étudier. Ils ne veulent pas rentrer en Tchétchénie", explique la mère d'Elza, malade et visiblement épuisée. Telle une icône, le portrait de sa fille de 18 ans a été accroché à la toile de leur tente