Le Kremlin relance la traque autour du président tchétchène
24 février 2002
Sophie Shihab, Le Monde
ALORS QUE VLADIMIR Poutine affirmait, après deux ans et demi de guerre en Tchétchénie, vouloir ouvrir des négociations avec son président Aslan Maskhadov, le président russe, en réalité, donnait l'ordre de relancer la traque autour de ce chef légitimement élu, laïc et modéré, ont révélé ses proches, vendredi 22 février à Paris.
"S'ils arrivent à le tuer, nous aurons beaucoup de mal à continuer à nous interdire tout recours au terrorisme, à contenir le désespoir et le besoin de revanche", a déclaré le ministre tchétchène des affaires étrangères Ilyas Akhmadov, un des quatre membres du gouvernement Maskhadov invités au Théâtre national de la Colline. Car il est évident, a-t-il précisé, "que dans nos conditions - celles d'une occupation totale par une armée qui tue, viole et terrorise tous les jours, alors que le monde entier reste indifférent -, nous ne pouvons prétendre tout contrôler ni garantir qu'il ne se trouvera pas de Tchétchènes pour faire n'importe quoi en Russie ; même s'il ne s'en est pas trouvé jusqu'à présent et si personne n'a trouvé de Tchétchènes en Afghanistan, contrairement à ce que tout le monde (la CNN, la BBC et des dirigeants occidentaux) répète depuis des mois".
Reçu début février au département d'Etat américain, Ilyas Akhmadov a assuré que ses interlocuteurs américains ont reconnu n'avoir pas trouvé de Tchétchènes en Afghanistan. "Pas plus que n'en ont trouvé les deux mille journalistes sur place, pour lesquels "trouver un Tchétchène" était pourtant devenu une sorte de jeu excitant", a-t-il ajouté.
Mais le mal a été fait et l'image du "terroriste tchétchène" a été encore un peu plus solidement ancrée dans les esprits, au moment où le débat sur l'attitude à adopter vis-à-vis de la Russie et du Caucase est loin d'être tranché aux Etats-Unis, selon le ministre tchétchène. Il a reconnu que des signes inquiétants sont venus récemment du département d'Etat, "toujours plus enclin à faire confiance au Kremlin que les militaires". Le chargé d'affaires américain à Tbilissi a ainsi évoqué, la semaine dernière, la présence de "terroristes venus d'Afghanistan" parmi les réfugiés tchétchènes en Géorgie.
Pourtant, quelques semaines plus tôt, la situation était différente. "Dans le sillage du 11 septembre, la propagande russe a été si grossière que les dirigeants américains ont été obligés de réagir : j'ai compté onze déclarations en six semaines, au plus haut niveau, y compris du président Bush, expliquant qu'il ne fallait pas confondre Tchétchènes et terroristes, et que ce conflit avait besoin d'une solution politique", a rappelé Mayerbek Vatchagaev, le porte-parole du président tchétchène. Ce serait donc, selon lui, pour avoir l'air d'écouter les conseils pressants de ses nouveaux "alliés" américains que M. Poutine aurait lancé, le 24 septembre, ce qui fut considéré comme un appel à négocier.
Une rencontre entre représentants des présidents russe et tchétchène a d'ailleurs bien eu lieu le 18 novembre. Mais elle n'a eu ni résultat ni suite. "Il était en effet illusoire d'espérer autre chose, alors qu'au même moment les forces russes lançaient deux offensives contre le président Maskhadov : localisé, bombardé puis encerclé par des centaines de parachutistes, il n'en réchappa que par miracle et au prix de combats qui firent en tout une dizaine de morts parmi sa garde", a assuré M. Vatchagaev. Le ministre des affaires étrangères a été plus loin : "Les Russes ont sans doute reçu d'un de leurs nouveaux alliés du matériel permettant de mieux écouter les téléphones satellites et de synchroniser leur action", a déclaré M. Akhmadov. "Depuis près de trois mois, nous ne communiquons plus que par messagers, porteurs de cassettes audio", a-t-il précisé.
Avant de remercier ses hôtes français - responsables d'institutions culturelles publiques, comédiens, intellectuels et journalistes - pour l'attention portée à un président élu avec le soutien de l'OSCE et qui signa au Kremlin en 1997 un "traité de paix éternelle" avant d'être abandonné par l'Occident et d'être désormais menacé d'être "liquidé", comme l'ont été, selon des estimations avancées par M. Akhmadov, près de 20 % de la population tchétchène en sept ans.