La montée de la xénophobie à Moscou et en Russie a des causes sociales sérieuses, et la guerre coloniale menée en Tchétchénie en est une des principales.

Les skinheads passent à tabac et tuent les "non-slaves"

15 novembre 2001

"La Pensée russe" (Rouskaya mysl) - N°4385

Comme nous on en avions déjà rendu compte (cf. " La P. R. " n°4384), le soir du 30 octobre, à peu près 250 à 300 jeunes de 15 à 20 ans, le crâne rasé pour la plupart, armés de morceaux d'armatures métalliques ont fait un pogrome sur le marché qui se trouve dans la station de métro "Tsaritsino". La Milice s'en est mêlée, mais pas immédiatement, car premièrement, elle a mal évalué l'ampleur de l'action, et deuxièmement, elle n'était pas présente en nombre suffisant sur le marché. Ce jour-là, des bataillons entiers de la milice étaient déployés pour assurer la sécurité des sessions de Moscou du forum de Davos et les protéger des militants "anti-globalisation", bien qu'aucun militant "anti-globalisation" n'ait pu parvenir jusqu'à Moscou : ils n'ont tout simplement pas obtenu de visa (des militants "anti-globalisation" moscovites, il ne s'en est rassemblé qu'une quinzaine, et ils n'ont été autorisés à montrer leurs banderoles que pendant peu de temps et à cinq kilomètres du lieu de la rencontre des "globalistes").

Finalement, en tirant quelques cartouches en l'air au dessus du corps d'un homme de type arménien, déjà battu à mort, les miliciens sont parvenus à mettre fin au pogrome. La plus grosse partie des agresseurs s'est réfugiée dans le métro, où, entre les stations "Tsaritsino" et "Kachirskaya", ils ont continué à frapper des passagers à l'allure "non-slave".

Vers neuf heures du soir, une centaine de personnes a participé à une ratonnade dont la cible étaient des citoyens afghans, dans le restaurant "Sébastopol" (où se rassemblent les réfugiés afghans à Moscou vivant de petits commerces).

Rien que le 30 octobre, il y a eu des dizaines de victimes, 22 personnes ont été hospitalisées, cinq d'entre elles dans un état grave (parmi lesquelles un vrai russe, mais brun). Deux hommes ont été tués sur place à coups de barres de fer (un arménien de Moscou et un citoyen indien), et cinq jours plus tard, un travailleur immigré tadjik, un maçon de 18 ans, est mort des suites des traumas subis alors qu'une autre victime (un réfugié afghan de 40 ans) se trouve dans le coma et les médecins le disent condamné.

La milice a arrêté 26 personnes (en majorité des mineurs), dont la plupart a été relâchée dès le matin du 31 octobre.

La première information diffusée (largement reprise dans la presse occidentale), selon laquelle les délinquants seraient membres de l' "Unité nationale russe" (UNR - en russe : RNE) d'Alexandre Barkachov n'a pas été confirmée. La direction de la milice de Moscou s'est efforcée d'attribuer le pogrome à des supporters de football, d'abord du "Spartak", et puis lorsqu'il a été démontré que le "Spartak" ne jouait pas ce jour-là, du "Lokomotiva". La milice a ensuite rejeté cette version en indiquant que chez bon nombre d'interpellés, ont été découvertes des cartes de partis nationalistes (sans dire de quel parti).

L'accusation d'homicide a été portée à l'encontre d'un des interpellés, le mineur Sergueï Poliakov de Mytichtch près de Moscou. En se référant à la milice, la télévision avait ensuite transmis que le jeune avait été pris sur le cadavre de l'une des victimes (l'arménien), alors que sur ses vêtements avaient, soi-disant, été découvertes des traces de sang de la deuxième victime (l'indien). Mais ensuite, l'expertise n'a pas confirmé l'identité du sang trouvé sur la veste de Poliakov avec celui des victimes.

On avait l'impression que d'un simple participant au pogrome (et peut-être même d'un passant pris tout à fait au hasard) on voulait faire le coupable principal et prouver du même coup que les organes de maintien de l'ordre étaient à la hauteur...

La réalité, cependant, démontre le contraire. L'agression des skinheads est particulièrement visible à Moscou depuis le printemps 1998, même si auparavant déjà, les étudiants de l'Université de l'amitié entre les peuples, "Patrice Lumumba", s'étaient plaints des attaques de jeunes au crâne rasé.

1998, l'année du pic d'activité

Le 20 avril 1998, des inconnus ont appelé les rédactions de quelques journaux moscovites en promettant, à partir du jour suivant, qui était l'anniversaire de la naissance d'Hitler, de "tuer tous les jours un noir". Le lendemain, ont effectivement commencé des attaques quotidiennes, et plus d'une par jour, de bandes de jeunes voyous contre des individus africains, indiens, vietnamiens, ouzbeks, azéris et autres individus au faciès fortement typé "non-slave" dans les rues de Moscou. Les agresseurs étaient des jeunes au crâne rasé d'environ 15 à 25 ans, vêtus de blousons noirs, armés de barres métalliques, de coups-de-poing ou de couteaux. Les ambassades du Bénin, des EAU, du Soudan et d'Inde ont exprimé des protestations officielles auprès du ministère des affaires étrangères de la Russie. L'ambassade des États-Unis a averti ses ressortissants de la possibilité d'attaques de bandes de voyous à l'encontre des noirs américains.

Jusqu'au 7 mai, il n'y eu pas un seul jour sans incident. La milice de Moscou, pendant cette campagne sans précédent de terreur de rue contre les "noir ", a observé, comme c'est la règle, une parfaite neutralité et a refusé d'enregistrer les plaintes concernant ces attaques ("quand ils tueront, venez nous voir").

Des dizaines de personnes ont subi des blessures graves. Une ressortissante indienne a fait une fausse couche après avoir été battue par des skins. Entre le 20 avril et le 30 avril, on a trouvé dans une trappe de canalisation, près de Danilovsk, le cadavre d'un noir. Les résultats de l'enquête n'ont pas été divulgués dans la presse et on ne sait pas si ce meurtre a quelque chose à voir avec la menace de "tuer tous les jours un noir".

Le 4 mai 1998, un membre de la sécurité de l'ambassade des États-Unis à Moscou, le marine William Jefferson a été sérieusement battu par un groupe de skins dans le parc de Filevsk. L'organisateur de l'attaque est âgé de 23 ans et originaire de Rybinsk, Semen Tokmakov, leader de la bande de skins appelée "objectif russe". Après l'action, Tokmakov a donné une interview à un groupe de journalistes, en leur annonçant, ce qui a été enregistré, que "les noirs sont le mal" et qu'il faut "leur faire subir un programme spécial d'euthanasie". Comme Jefferson n'était pas un étudiant, mais le collaborateur de l'ambassade d'un grand pays, Tokmakov a été arrêté.

Le tribunal en a fini avec Tokmakov le 27 septembre 1999. Celui-ci a été condamné à trois ans de prison selon l'art. 282 ("incitation à la haine nationale") et le même jour, il a été libéré en vertu d'une amnistie. En automne 1999, Tokmakov était sur la liste électorale fédérale du rassemblement "Mouvement du "Salut" " sur laquelle le n°1 était Barkachov, et qui a été retirée des élections pour des raisons formelles après l'enregistrement. Actuellement, il est à la tête de l'organisation de jeunesse du parti national-populaire (PNP) pro-fasciste et il dirige la rubrique "Je suis russe" dans le journal du parti.

Le 7 mai 1998, un raid d'une bande de voyous sur le marché à Lujniki s'est terminé avec le meurtre d'un azéri, après quoi les vendeurs azéris ont même organisé une manifestation de protestation qui n'a pas été sanctionnée. Les voyous qui ont attaqué le marché avaient le crâne rasé et étaient vêtus de noir, et ayant rencontré une résistance, ils ont demandé de l'aide pour leur razzia... aux miliciens assurant la sécurité du marché.

Au printemps 1998, un groupe de skinheads appelé "les aryens célestes" a tenté d'incendier une synagogue à Odintsovi. Le résultat ne les a pas satisfait, et ils sont revenus le lendemain et ont mis le feu à la voiture du rabbin qui était garée à côté. Les "aryens" ont eux-mêmes endossé la responsabilité de cet acte de terreur, en informant NTV de l'endroit où se trouvait une cassette vidéo contenant leurs aveux.

Sur cet enregistrement d'amateur, figuraient deux personnes masquées portant des bidons d'essence, qui déclaraient : "aujourd'hui, nous allons mettre le feu à cette synagogue..." La cassette avait été laissée dans une entrée tout près d'une autre synagogue détruite peu de temps avant par une explosion, à Marinaïa Rochtcha, ce qui a produit une confusion dans les mass-médias : les "aryens" ont été accusés de cette explosion et pas de l'incendie. Fin 1998, début 1999, deux personnes suspectées ont été arrêtées : Pavel Drozdov et Alexandre Ayrapetian. En octobre 1999, tous deux ont été reconnus irresponsables.

Le 17 octobre 1998 à Moscou, le fils de l'ambassadeur de la République de Guinée Bissau, Erbernt Rojerio Araujo Adolfo, a été férocement battu. Deux personnes ayant participé à l'agression ont été interpellées, des étudiants en médecine âgés de 16 et 18 ans. Les passants, dont l'intervention (et pas celle de la milice) a fait cesser le passage à tabac, affirmaient que le noir avait été battu, avec des ceintures arméniennes, par des crânes rasés. Selon l'opinion du ministère de l'intérieur, cependant, le passage à tabac "n'avait pas été motivé par du racisme", et il était simplement question de "raclée ordinaire, courante entre jeunes gens".

Le 12 novembre 1998, des skinheads ont blessé avec un objet tranchant un citoyen angolais de 30 ans.

1999-2000

Le 28 août 1999, de 10 à 15 skins qui poursuivaient des jeunes filles en sari, ont fait irruption dans l'enceinte du temple de la reconnaissance de Krishna, chaussée Khorochevski. Les disciples de Krishna responsables de la sécurité ont fait sortir les voyous dans la rue. Les skins sont bientôt revenus, et il y en avait désormais plus d'une cinquantaine. Ils ont surgi dans le temple, battu les fidèles et exigé qu'on leur livre "le basané" (ils désignaient ainsi un disciple de Krishna ouzbek). L'arrivée d'un groupe de miliciens a fait fuir les voyous, mais aucun d'eux n'a été interpellé.

Le 18 mars 2000, des skinheads ont attaqué des adolescents venant à un concert organisé dans le SK "Dynamo" de Moscou en soutien à la candidature aux élections présidentielles de Grigoriï Yavlinski. Un adolescent a été tué, plusieurs, dans un état grave, ont été transportés en réanimation.

Le 28 juin 2000, dans le parc Savelovski, à Moscou, ont eu lieu des désordres. À la suite d'un concert de musique oï, des skins ont affronté la police, et scandant des slogans racistes, ils se sont mis à battre les passants d'aspect non-russe. Un agent du ministère de l'intérieur a été blessé par un objet tranchant. Près de 200 crânes rasés ont pris part aux désordres. Les OMON ont été appelés, 122 skinheads ont été interpellés, 74 adolescents ont été relâchés dans la nuit (ceux qui avaient moins de 17 ans). Les autres ont été amenés au tribunal le lendemain matin, la plupart se voyant infliger des amendes et quelques uns ont été condamnés à 15 jours.

Le 5 et le 22 octobre 2000, des skins, armés de barres de fer et de bouteilles, ont à deux reprises attaqué des anarchistes à proximité du club Jerry Rubin à Moscou.

Le 21 octobre 2000, des skinheads ont organisé un pogrome dans le foyer de travailleurs vietnamiens à Moscou. Des action similaires ont déjà eu lieu auparavant, et à la suite de l'une d'elles, deux victimes sont décédées en réanimation.

2001

Le 15 mars 2001, un groupe de skinheads a effectué une attaque contre les élèves de l'école d'enseignement général arménienne n°1110. Les agresseurs ont brisé les vitres de l'école et durement battu plusieurs élèves des classes supérieures. L'un des élèves a été transporté à l'hôpital avec le diagnostic suivant : "contusions multiples, fracture de la clavicule". Même si la milice est venue rapidement, aucun des attaquants n'a été interpellé.

Le 20 avril 2001, sur la Place rouge à Moscou, un tchétchène a été tué dans une altercation avec des skinheads. L'identité du meurtrier, âgé de 17 ans, a été établie, mais il a réussi à ne pas se faire prendre.

Le 21 avril 2001, un pogrome a eu lieu sur le marché dans la station du métro de Moscou "Yassenevo". Près de 300 crânes rasés ont participé à ce pogrome. À peu près dix personnes, des caucasiens et des personnes leur ressemblant, ont été blessées plus ou moins gravement. Près de 50 skinheads ont été interpellés.

Pour l'organisation du pogrome de Yassenevo, on a annoncé l'inculpation (selon les articles du code pénal réprimant les "comportements de voyous" et " l'entraînement de mineurs à des actes délictueux") de l'adjoint du rédacteur en chef de la revue "le patron russe" Andreï Semiletnikov.

10 ans plus tôt, A. Semiletnikov était connu comme un des principaux punks de Moscou, surnommé "Dymson" et le rédacteur en chef du "patron russe", Alexeï Tcherviakov, est un ancien anarchiste (et avant cela un capitaine de la milice). "Le patron russe", bienveillant envers les skinheads, se distingue des autres publications extrémistes "national-patriotiques" en ce qu'il considère comme juif (un terme beaucoup plus vulgaire étant utilisé habituellement) le président Poutine lui-même. C'est pourquoi, périodiquement, la milice leur rend visite, fait se coucher tout le monde face contre terre, séquestre ce qui a été imprimé, et parfois frappe un peu. (Cela s'est aussi produit, à dire vrai, après le pogrome de Tsaritsino. Mais personne du "patron russe" n'a été interpellé et personne n'a été inculpé.)

Le 16 mai 2001, dans le métro de Moscou, trois adolescents ont battu un citoyen du Zimbabwe, un étudiant aspirant du MGU.

Le 21 mai 2001, dans la rue V. Latsis dans Moscou, cinq skinheads ont attaqué deux citoyens de Zambie et les ont battus.

Le 5 septembre 2001, à l'hôpital Botkine de Moscou, est décédé Pol Massa Maïoni, réfugié d'Angola à la peau noire, âgé de 34 ans. Le 23 août, il avait été durement battu dans la rue par plusieurs skinheads. Des suites d'un grave traumatisme crânien, il était resté deux semaines dans le coma. Aucun des agresseurs n'a été interpellé malgré le fait qu'une patrouille de la milice se trouvait à proximité. Pol Massa Maïoni vivait à Moscou depuis 1994, il était marié à une russe et avait deux enfants.

En dehors de la capitale

Les crânes rasés ne sont pas seulement actifs dans la capitale. Voici quelque cas seulement dont la presse centrale a rendu compte. À Arkhangelsk, le 24 novembre 1998 un groupe de skinheads a été condamné pour avoir battu des personnes originaires du Caucase. L'un des caucasiens agressés avait 17 blessures causées par des objets tranchants et pénétrants tels que couteaux ou pointes. Fin mars 1998, 9 skins ont été arrêtés. Selon les bilans du tribunal, six d'entre eux ont été condamnés à des peines avec sursis, de 2 à 5 ans, et leur chef, 7 ans de privation de liberté dans une colonie pénitentiaire à régime sévère.

Le 27 octobre à Saint-Pétersbourg, une bande de skinheads a battu des coréens. Parmi les personnes que la police avait interpellées en traquant ceux qui avaient participé à l'attaque, il y avait Andreï Grebnev, qui était alors le "gauleiter" de la section locale du parti national-bolchévique (PNB), d'Édouard Limonov. Le 10 octobre 2000, le tribunal a tenu une audience. A. Grebnev et deux autres skinheads ont été reconnus coupables et libérés par "l'amnistie de Poutine" en mai (vu qu'ils avaient été condamnés pour "comportements de voyous" et non pas selon l'article 282 qui était exclus de l'amnistie). Début avril 2000, à Volgograd, dans le stade central, ont été battus des étudiants de médecine indiens. L'une des victimes a été transportée à l'hôpital avec 16 fractures. Accusées de ce pogrome, 14 personnes ont été arrêtées, 3 ont été mises en garde à vue, les autres ont été relâchées sous obligation de ne pas s'éloigner. Le leader du groupe s'appelait Pavel Droujinine. Il n'y a pas eu dans la presse d'informations faisant état de suites judiciaires.

À la mi-octobre 2000 à Toula, des crânes rasés ont blessé à l'aide d'un objet tranchant un citoyen du caneroun, Claude Nharré. Fin mars à Toula, un autre africain a été tué.

La montée de la xénophobie à Moscou et en Russie a des causes sociales sérieuses, et la guerre coloniale menée en Tchétchénie en est une des principales, avec les crimes et les atrocités commis de part et d'autre.

Mais les pogromes en particulier constituent souvent un pur problème de police. En tout cas, il est clair que la milice russe contemporaine est une très mauvaise police.


Viatcheslav Likhatchev et Vladimir Pribylovskiï, Moscou.

Traduit du russe par le Comité Tchétchénie de Paris